Avant même d'être mis côte à côte, chacun de ces deux extraits, la bande-annonce de L'argent (Robert Bresson 1983) et un passage de Temps / Travail (Johan van der Keuken, court-métrage de 1999) génèrent déjà, bien aidés par leur bande sonore mécanique, leur propre musique sérielle, sans début ni fin. C'est une sorte de cinéma techno, scandé, séquencé par la répétition et d’infimes variations de gestes comparables mais déclinés dans des contextes et à des échelles différentes.
Mais plus que tout, ce que j'aime dans ces deux extraits, c'est la façon dont ils prennent le contre-pied des discours habituels sur la folie spéculative ("tout cela, c'est à cause de la dématérialisation des flux") en montrant justement que certes, l'argent n'a pas d'odeur et pas sommeil (bonjour truismes), mais a quand même une matérialité, sa matérialité ambiguë que ces deux extraits parviennent à saisir. Cet argent qui file de mains en mains est-il à l’état solide ou déjà liquide ? Est-il un fluide qui brûle les doigts ou un solide qui se dégrade, à l’instar du mercure, ce métal à l’état intermédiaire entre solide et liquide et déjà dénommé « vif argent » ? Une honte ou un trophée ? Sans doute tout cela à la fois. Si le dire n’a rien de particulièrement original, le montrer en images sans paroles est une autre paire de manches, un défi aussi chimérique que celui auquel travaillent le ballet des mains dans ces extraits : caresser l’insaisissable.