Ce genre de coïncidence est le cauchemar des grands groupes. Alors que Microsoft lançait en grande pompe mercredi un adorable téléphone pour la jeunesse technophile des pays occidentaux, un rapport révélait les conditions de travail édifiantes imposées à des adolescents « stagiaires » par un des sous-traitants chinois de la firme de Redmond.
Si les sous-traitants d’Apple n’ont qu’exceptionnellement recours au travail des enfants, ils dépassent souvent la limite hebdomadaire… de 60 heures !
Située dans le Guangdong (sud de la Chine), « l’usine KYE recrute des centaines et jusqu’à un millier d’adolescents de 16 et 17 ans qui travaillent jusqu’ à 15 heures d’affilée, de 7 heures 45 à 22 heures 55, six à sept fois par semaine », affirme ce rapport du National Labour Comittee, une ONG qui se fait fort d’épingler les méthodes de production des sociétés américaines. Illustré par des photos prises en cachette d’ados épuisés qui s’effondrent de fatigue sur leur poste de travail, il affirme également que l’on interdit à ces ouvriers, qui fabriquent à la chaîne des souris pour Microsoft, de parler entre eux et même d’aller aux toilettes pendant leurs heures de travail. Tenus de produire 2000 souris par vacation, sous peine de sanctions, ils sont rémunérés 65 cents de l’heure. Ils ne gagnent en réalité que 52 cents une fois retiré le prix de leur repas qu’ils remboursent à l’entreprise.
14 par dortoir
Ces « stages » durent en moyenne trois mois, parfois plus de six. Hébergés sur place, les conditions de logement des jeunes ouvriers sont sordides. Après leur travail par une chaleur de 30 degrés, ils sont entassés sur des lits superposés, à 14 par dortoir, et n’ont à disposition, pour se laver, que des robinets et des seaux. Ils n’ont pas de liberté de circuler et ne peuvent sortir de l’usine que sur des plages horaires limitées. Les ouvrières dénoncent aussi un harcèlement sexuel des gardes de sécurité.
Ni le droit du travail chinois ni les codes de conduite de Microsoft ne sont appliqués, pourtant l’entreprise KYE qualifie d’ « excellentes » les conditions de travail de ses ouvriers. « Nous sommes des prisonniers », résume anonymement l’un d’eux, « on dirait que l’on ne vit que pour travailler. Nous ne travaillons pas pour vivre. Nous n’avons pas de vie, juste du travail ». Si tous les ouvriers en veulent à leur usine, pas un ne pense à s’en prendre à ses clients américains.
« Traitement équitable »
Sous pression, Microsoft, qui représente à lui seul 30% de la production de l’usine mise en cause, n’a eu d’autre choix que de réagir. Le géant informatique a immédiatement annoncé qu’il lançait une enquête et pourrait prendre « les mesures correctives qui s’imposent » s’il découvre « des manquements ».
L’usine KYE serait aussi sous-traitante pour Hewlett-Packard, Best Buy, Samsung, Acer, Logitech et Asus et… Foxconn qui est lui-même le premier partenaire industriel d’Apple. La firme à la pomme ne pourra pas profiter des ennuis de son concurrent pour marquer des points. Elle est elle-même confrontée à une autre polémique : une vague de suicides chez Foxconn, un groupe Taiwanais qui fabrique l’essentiel des produits Apple en Chine : iPod, iPhone et même le dernier né : l’iPad.
Usine géante
Assailli de questions par la presse, le gigantesque sous-traitant se mure dans son silence et refuse d’ouvrir aux journalistes ses installations. En février, un reporter de Reuters qui avait tenté de pénétré dans une usine avait été frappé par des gardes, la police lui expliquant ensuite que Foxconn avait un « statut spécial ». Parmi les autres clients du sous-traitant : Sony, HP, Amazon, Nokia, Motorola, Nintendo, Microsoft, Dell ou Cisco. Outre les appareils phares d’Apple, Foxconn fabrique la plupart des produits qui font rêver le monde occidental : Kindle d’Amazon, consoles Xbox et PlayStation, téléphones tactiles… A croire que pas un seul des grands noms de la planète high-tech n’ait de leçon à donner sur ses méthodes de production.
Le témoignage d’une ouvrière de KYE travaillant pour Microsoft
« Mon travail consiste à ôter des petits autocollants de caoutchouc sur un papier et à les placer un par un sous la souris. C’est un travail qui rend fou. Je répète le même mouvement encore et encore plus de douze heures par jour. Après quelques heures, mes collègues et moi commençons à sentir des douleurs dans le cou, les épaules, le dos… Beaucoup luttent pour ne pas somnoler. Pour combattre le sommeil, j’alterne parfois entre la position debout et la position assise. (…) Peut être que si je pouvais parler avec les autres ouvriers, nous pourrions mieux résister au sommeil. (…) Si nous discutons, le chef d’atelier crie : « Quand vous êtes au travail, vous ne pouvez pas parler ! Si vous voulez parler, attendez la fin de votre shift ! Mais de quoi pouvez-vous parler au travail ! » Chacun a les yeux rivés sur sa montre. Le temps passe lentement. Tellement lentement ! »
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