Cette soirée au line-up incroyable s’inscrivait dans le cadre du Domino Festival de l’Ancienne Belgique – le festival comportait également, entre autres, des concerts d’Autechre (dont j’ai déjà parlé par ici), de Lou Reed, ou encore Rain Machine ou Crystal Antlers.
Comme d’ordinaire dans le cadre de ce festival, une listening session était organisée avant le premier concert: c’est cette fois-ci à Latin d’Holy Fuck que l’on a eu droit, et je dois admettre que si je n’en attendais pas grand chose, j’ai finalement été agréablement surpris par ce mélange d’électronique et d’instruments électriques, très proche de !!! par exemple.
C’est à 17h que le premier groupe, Tomàn, quintet belge, prend place sur la scène. Honnêtement, je dois dire que la description que j’avais lu du groupe ne m’avait pas enchanté plus que ça et que je m’attendais à ce type de post-rock vaguement aérien, tellement rabâché depuis 10 ans qu’il en devient insupportable. D’où une certaine surprise face à ce groupe qui ne se contentera pas du schéma tant entendu « arpèges-crescendo-explosion »: le groupe a le bon goût d’introduire des éléments de math rock et surtout d’électronique vintage, à l’aide de synthétiseurs Moog et autres, venant ponctuer et rajouter une touche un brin plus originale aux explosions. Surtout, le groupe sait se faire plus joueur, ne pas rester dans une mélancolie languissante du début à la fin, et utiliser le chant à bon escient. Enfin, l’utilisation de la vidéo, parfaitement synchronisée à la musique, est une autre excellente idée du groupe, donnant un côté cinématographique à ses morceaux et renforçant l’impression de grande cohésion entre les musiciens. Le set est parfaitement mené, tous les morceaux étant enchaînés, et tout parait fluide: c’est réellement un excellent concert que nous a proposé Tomàn ce soir-là.
45 minutes plus tard, le set s’arrête et c’est Three Trapped Tigers qui se met en place. Première partie sur toute la tournée de Fuck Buttons, ce groupe s’est fait remarquer (ou pas) en 2009 pour 2 EPs extrêmement originaux, dans la veine de Pivot, qui le placent quelque part entre electronica, math rock, noise rock, post-rock, et tout un tas d’autres styles. Etant littéralement sous le charme de compositions telles que 6 ou 1 (car oui, à la manière de Supersilent, le trio semble avoir la phobie des titres, et ne nomme donc aucun de ses morceaux, ni de ses EPs, se contentant de les numéroter), qui parviennent à susciter des émotions malgré leur côté kitsch assumé, j’avais hâte de voir comment le groupe parviendrait à faire ressortir à la fois l’énergie et l’émotion qui les animent sur scène. Et je dois avouer que malgré l’enchaînement de tubes que le groupe va nous proposer pendant 45 minutes, sélectionnant avec précaution tous les meilleurs titres de son répertoire, je reste un peu sur ma faim. Peut-être attendais-je trop d’un groupe finalement encore très jeune, d’autant que leur set fut tout de même bon, voire très bon, mais je n’ai pas retrouvé dans leur live tout ce qui fait leur charme en studio. Tout n’est tout de même pas négatif: les trois Anglais s’en tirent tout de même honorablement, et leurs lignes de synthés s’entremêlant, ponctuellement accompagnées de choeurs vocaux, font malgré tout leur petit effet. Surtout, le batteur se détache complètement, transcendant ses enregistrements, faisant preuve d’une énergie et d’un talent assez hallucinants. Un bon set donc, même s’il reste en-deçà de mes espérances – mais après tout, ce n’est pas de leur faute.
Alors que le matériel de Three Trapped Tigers est retiré de la scène, c’est celui de Mount Eerie qui est installé, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est plutôt impressionnant pour un groupe connu depuis les années 90 pour un indie folk lofi souvent intimiste, malgré un dernier album très noise rock – et très bon – inspiré par le black metal: double batterie (dont une est équipée d’un gong), synthétiseurs des deux côtés de la scène, et même un basson – pas moins de six musiciens seront donc présents sur la scène. Mais bien entendu, la star de la formation, c’est Phil Elverum, qui occupe le devant de la scène avec sa guitare et son micro. Et pendant 45
minutes (ce qui est certainement un peu court pour un projet ayant un tel répertoire – une dizaine d’albums en tant que The Microphones, et déjà 4 avec Mount Eerie -, mais le groupe joua apparemment à peu près le même temps sur toute sa tournée), le sextet, donc, va s’appliquer à nous proposer un set parfait: très largement axé sur le dernier album en date Wind’s Poem (ce qui n’est pas pour me déplaire, vu que c’est à peu près le seul que je connais bien), le concert va alterner passages d’une intensité terrible et folk calme mais sombre. Le groupe déroule les meilleurs morceaux de son dernier disque: attaquant le set avec l’incroyable Wind’s Dark Poem et son mur du son décapant, Phil Elverum va ensuite nous proposer ses My Heart Is Not At Peace, Wind Speaks, et autres Between Two Mysteries. On pourra reprocher à Phil de jouer un peu trop à l’artiste torturé, par exemple lorsqu’il cherche à illustrer ses paroles avec ses mains en représentant le vent, etc, mais après tout, c’est aussi pour ça qu’on l’apprécie! Un excellent set donc, un peu trop court, mais animé par la perfection du début à la fin.
Il est maintenant 20h, et le groupe que j’attendais le plus se met en place: Fuck Buttons. Après les avoir ratés deux fois l’an passé (car jouant trop tard au Dour Festival et affichant complet à Lille), c’est avec une certaine joie que je m’apprêtais à les voir enfin (même si leur second album m’a personnellement moins accroché que le premier, le milieu de l’album me paraissant nettement plus faible que le début et la fin). Et là, aucune déception. Le groupe démarre et l’introduction du fabuleux Surf Solar se fait entendre. Peu après, les premiers kicks apparaissent, et on pressent ce qu’il va suivre: le son est profond, précis, puissant. La mélodie bruitiste du titre se détache du lot et vient nous offrir une introduction à ce qu’il va suivre. Car c’est véritablement après ce premier morceau que Fuck Buttons va nous révéler toute son intensité: une nappe de bruit saturée terriblement puissante et tendue vient vous envelopper, vous agresser; le mur du son devient véritablement physique (en témoigneront mes acouphènes à la sortie du concert). Le groupe enchaîne les titres extraits de ses deux albums: Okay, Let’s Talk About Magic , Colours Move , Rough Steez , Olympians , Ribs Out , Phantom Limb , … Sur l’exceptionnel Bright Tomorrow, l’explosion est tellement puissante que l’on a presque l’impression d’être pris dans le souffle d’une déflagration (vraiment). Fuck Buttons ne nous lâche plus, et la tension se fait constante, ne souffrant d’aucune interruption. Lorsque le set s’achève après une heure de saturations bruitistes et de rythmes hypnotiques, le constat est clair: Fuck Buttons n’a pas déçu, bien au contraire.
65daysofstatic installe alors son matériel et je suis plutôt surpris de voir qu’il s’agit du groupe le plus attendu de la soirée: les rangs se resserrent, et l’on pourra constater qu’une bonne partie du public connaît tous les titres joués par le groupe – ce qui n’est pas mon cas, n’ayant jamais écouté d’album du groupe. Le concert commence, les trois premiers morceaux s’enchaînent, et il parait très difficile de pouvoir succéder à Fuck Buttons: le groupe nous envoie une série de murs du son, mais ceux-ci paraissent bien faibles à côté de ceux que Fuck Buttons créait quelques instants auparavant. Malgré toute l’énergie déployée sur scène donc, les guitaristes utilisant tout l’espace qui leur est donné, le groupe peine à soutenir la comparaison avec l’intensité de Fuck Buttons. Et puis, au quatrième morceau, un riff plus calme se fait entendre, et le concert prend enfin son ampleur. Dès lors, si le groupe ne parviendra jamais à atteindre la tension des deux groupes l’ayant précédé, le concert sera d’une autre teneur: entre noise rock, post-rock et électronique (cette touche électronique restant malgré tout bien plus faible que ce que je pensais), le groupe nous livre une série de compositions de qualité, sans être complètement transcendantes non plus – la majorité du public semble ne pas être de mon avis, puisque certaines personnes à mes côtés cherchaient vraisemblablement à défier les lois de la gravité. Le concert atteint son summum sur le dernier morceau, très Fuck Buttons justement, tournant autour d’un beat techno pendant plus de 10 minutes alors que des mélodies célestes se superposent par-dessus. Le groupe quitte la scène, puis vient nous gratifier d’un rappel de quelques titres, finissant sur ce qui semble être son tube (que je crois reconnaître mais dont je ne connais pas le titre), avec une mélodie frénétique de piano électrique. Un concert fort sympathique donc, même s’il est à mon goût loin d’être le meilleur de la soirée. Surtout, deux problèmes se posent à mon avis. L’utilisation de l’ordinateur portable, dans un premier temps, puisque si l’un de leurs deux ordinateurs (oui…) est vraisemblablement connecté aux instruments midi, l’autre semble n’être utilisé que comme lecteur de pistes qui passent dans le fond des morceaux, la seule intervention des membres étant de lancer ces pistes. Mais aussi l’ »utilisation » du roadie, qui vient donner les guitares tout au long du concert aux membres du groupe. Si cela ne pose pas de problème durant le concert en lui-même (même si cela donne un côté très calculé à tout ce que fait le groupe), c’est autre chose lorsque le roadie vient préparer les futures guitares alors que le public est en train d’applaudir pour demander un rappel, comme si le groupe cherchait à supprimer le peu de spontanéité qui reste déjà à cette institution: dès lors leurs visages étonnés et leurs remerciements à leur retour sur scène paraissent quelque peu faux. Malgré tout il serait excessif de faire un procès à ce groupe pour ces quelques éléments, et leur concert reste un bon moment, même s’il a souffert du fait de succéder à Fuck Buttons. Une excellente soirée donc.