Ottawa — Camouflage d'une erreur meurtrière, transfert quasi systématique de détenus innocents aux mains d'une agence sulfureuse, processus de détection des terroristes «stupide», recours indirect à des méthodes d'interrogations musclées: c'est une charge percutante contre l'armée canadienne qu'a livrée hier un ancien traducteur de l'armée ayant occupé un poste important en Afghanistan en 2007 et 2008.
Le comité parlementaire sur l'Afghanistan n'avait pas connu de séance aussi mouvementée depuis le passage du diplomate Richard Colvin, en novembre. Hier, Malgarai Ahmadshah, dit Pasha, un Canadien d'origine afghane, a provoqué une onde de choc en lançant une série d'accusations qualifiées de «très graves et sérieuses» tant par l'opposition que par le gouvernement.
M. Ahmadshah a travaillé de juin 2007 à juin 2008 comme conseiller culturel et traducteur pour l'armée canadienne à Kandahar. Son travail a été salué par plusieurs hauts gradés de l'armée, qui ont loué ses qualités dans des lettres de référence vues hier.
Or l'ancien traducteur affirme avoir appris durant son séjour «que les Canadiens ont souvent transféré des hommes innocents au NDS [Direction nationale de la sécurité afghane], parfois même lorsque le NDS menaçait leur sécurité ou leur vie».
Il a indiqué avoir vu des «responsables militaires envoyer des détenus au NDS parce que ces détenus ne leur disaient pas ce qu'ils voulaient entendre. S'ils croyaient qu'un détenu mentait, ils l'envoyaient au NDS pour qu'on lui pose les questions à la manière afghane. C'est-à-dire: abus et torture.» M. Ahmadshah aurait dénoncé cette situation aux autorités... et aurait été puni par quelqu'un qui a révélé aux talibans sa véritable identité (il prétend que sa famille afghane est maintenant en danger).
M. Ahmadshah a affirmé que, vers juillet 2007, à Hazraji Baba, l'armée canadienne aurait tué d'un coup de feu derrière la tête un jeune de 17 ans qui n'était pas armé. Constatant l'erreur, les soldats auraient «paniqué» et arrêté une dizaine d'hommes âgées de 10 à 90 ans. Selon M. Ahmadshah, qui a traduit les interrogatoires, ces hommes étaient pour la plupart innocents. «Ce n'étaient pas des talibans. Ils n'avaient rien fait de mal. Et pourtant, le Canada les a tous transférés au NDS. Je ne sais pas ce qui leur est arrivé.»
Dans le même mois, M. Ahmadshah affirme avoir assisté (à titre de traducteur) à une discussion entre des dirigeants militaires canadiens, deux représentants du ministère des Affaires étrangères et le colonel Yassin, du NDS. Le Canada voulait transférer un détenu ayant besoin de soins médicaux, ce que le NDS refusait. Le colonel aurait alors proposé aux Canadiens de tuer tout de suite le détenu. Le prisonnier a néanmoins été transféré.
«Le Canada dit qu'il ne transfère pas les détenus s'il y a un risque d'abus. C'est un mensonge», a lancé Ahmadshah Malgarai, souvent émotif durant son témoignage.
Interrogé par les députés, M. Ahmadshah a indiqué ne pas croire une seconde que le ministre Peter MacKay n'était pas au courant des risques de torture, parce que «tout le monde était au courant». Il a aussi qualifié de «plus que stupide» le test qu'utilisent les forces armées pour détecter un terroriste (voir si les mains d'un détenu contiennent des traces d'explosif): n'importe qui touchant le sol afghan de ses mains aura des traces, a-t-il dit.
Le député conservateur Laurie Hawn — qui a demandé à ce que la transcription de la rencontre (webdiffusée en direct) censure les accusations de M. Ahmadshah contre l'armée — a fait admettre au témoin qu'il n'avait pas vu de visu plusieurs des incidents rapportés hier. N'empêche, affirme M. Ahmadshah: il était aux premières loges pour comprendre ce qui se passait.