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La cousine et le monument de la Renaissance Africaine

Publié le 15 avril 2010 par Bababe

La cousine et le monument de la Renaissance AfricaineLa cousine et le monument de la Renaissance Africaine

Comme de coutume, Rakooye, pour saluer le gueej (mer en wolof), monte sur sa terrasse qui pour l’instant n’est pas encore transformée comme beaucoup d’autres en enclos de moutons, pour préserver ceux-ci des voleurs.

Le ciel se perdant dans l’océan, le soleil ressemblait plus à la lune. Pour s’assurer qu’elle ne confondait pas les deux astres, Rakooye tourna le dos à l’océan pour chercher ailleurs le soleil.

C’est à ce moment précis qu’un frisson parcourut tout le corps de Rakooye, toute tétanisée.

Que se passe-t-il ?  C’est quoi ce géant sur le ciel ?

Est-ce un maleika*, un de ces géants de l’au-delà qu’on dit effrayants qui terrorisent les morts pour leur demander des comptes.

Le ciel faillit tomber sur la tête de Rakooye avant qu’elle réalise qu’il s’agit de la fameuse statue de la Renaissance Africaine. (Elle en avait même oublié qu’elle est au pays de Ousmane Sow, ce c »lèbre peul,  sculpteur de géants dont les œuvres ont été exposées  au Pont des arts à Paris.)

Statue grandiose, suspendue au ciel, les pieds encastrés dans une des deux collines des Mamelles. En effet, seuls les géants osent perturber ou piétiner la demeure des génies.

La veille, Rakooye avait entendu raconter une histoire d’accidents causés par la femme génie des collines des Mamelles.

L’emplacement de la statue aurait contraint la femme génie à effectuer de grands détours pour retrouver son itinéraire habituel.

Selon les croyances, c’est ce fait qui aurait provoqué de nombreux accidents rares à cet endroit. C’est pourquoi, quelques jours avant l’inauguration de la statue, des bœufs ont été immolés pour calmer la fureur des esprits et leur demander pardon.

Décidément, cette statue n’aura pas fait couler que des milliards, provoquer des controverses, engendrer  des polémiques, mais elle aura aussi fait verser le sang des innocents.

Et pourtant, malgré ces déconvenues, Rakooye ne put réprimer un sentiment de joie et de fierté face à la symbolique de la statue, la plus haute du monde. Sentiment qui avait fait volatiliser les milliards.

Des mots que Rakooye pensait inattendus de sa bouche jaillirent : « Bravo, président Wade !»

La cousine et le monument de la Renaissance Africaine

 

Quand Rakooye extériorisa cette joie, elle ne rencontra qu’étonnement, surprise et hostilité de la part de la plupart de ceux qui trimaient tous les jours pour se nourrir et nourrir leurs moutons qu’ils préfèrent tout blancs, persuadés que c’est la couleur porte bonheur.

N’y a t-il pas là un décalage saisissant entre ceux-là qui triment pour nourrir leurs moutons qu’ils choisissent blancs, et cette statue monumentale, symbole de la renaissance de l’homme  noir !

 Une cousine de Rakooye dont nul ne doute par le nom affectueux qu’elle donne au président Wade, qu’elle est  son supporter, (même si elle affirme qu’elle supporte plutôt le fils du président.), eut un étrange revirement face à la statue qu’elle appréciait.

La cousine et le monument de la Renaissance Africaine

Dans un taxi dont la radio diffusait des versets de coran aux accents de sa confrérie, et dont le chauffeur affirmait d’une voix sentencieuse que c’est même un sacrilège que de regarder cette statue, que la cousine de Rakooye fit volte face. Toute tremblante, elle regretta d’avoir apprécié la statue.

 Comme c’était pathétique de voir cette ménagère de plus de 70 ans se confondre en excuses devant ce chauffeur de taxi qui pouvait être son fils.

Il est vrai que ce chauffeur de taxi faisait penser à ces talibans afghans qui réduisirent en poussière, il y a quelques années, les bouddhas qui trônaient depuis des siècles dans la vallée de Bâmiyâm.

Du côté des autres…

La cousine et le monument de la Renaissance Africaine

Les moineaux se débrouillent. Les chèvres et les vaches fouillent dans des drôles de prairies que leur offrent les villes. Prairies que leurs congénères de brousse ne leur envieraient pas. Les moutons continuent de bêler, emprisonnés dans leur enclos en hauteur, pendant que leur supposés voleurs errent librement. Les bougainvilliers font de la résistance en attendant l’hivernage ; tandis que les baobabs, ces géants sacrés, eux, sont investis par des sacs plastiques, ces nouveaux venus qui ignorent le sacré.

 Safi Ba

***maleika : référence au clip de Ismaila Lô, tadiaboone.


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