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Les enfants de l'air et de l'humus.

Par Sandy458

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Automne 2009-Hiver 2010.

 

Au creux de sa main, ils sont six, pelotonnés les uns contre les autres, plongés dans une léthargie naturelle.

Il les a ramassés comme on collecte un trésor d’enfance, sur le tapis de feuilles détrempées par les pluies d’automnes, dans cette forêt où se mêlent hêtres aux fûts droits, châtaigniers fertiles et chênes imposants.

Petit Jocelyn contemple ses six trésors et il s’interroge, le front plissé, tandis que le reste de la famille s’affaire à la récolte des châtaignes gourmandes encore dissimulées dans leurs bogues protectrices.

Il interpelle sa grande sœur et lui montre son magot.

Ils sont six, à la peau brune et luisante, lisse comme le crane d’un nouveau-né.

Les doigts potelés du petit garçon se referment sur les enfants de l’air et de l’humus qu’il a décidé, dès cet instant, de ne pas abandonner à leur sort aléatoire.

« Jocelyn, ce ne sont pas des châtaignes, nous ne pourrons pas les manger. Ce sont des glands, ils proviennent du chêne. Laisse-les.

-          NON !

-          … mais… que vas-tu en faire ? »

Il lève ses grands yeux noisette-mordorés vers moi et son regard interrogatif se teinte d’une supplique silencieuse pour conserver les six petits arbres en devenir.

Sa détermination de petit sage de la forêt me fait lâcher prise. Pire, mes deux jeunes sylvains joignent leurs voix implorantes pour l’adoption sans réserve des rejetons du grand chêne.

Je leur montre l’arbre ventru, immense, qui a semé son emprise sur tout un coin de la parcelle forestière, chassant même les autres végétaux. A ses pieds s’étale un large cercle où presque rien ne pousse et où rien ne vient troubler sa suprématie. Nous passons avec déférence la frontière invisible qui se dessine entre eux et lui, entre les roturiers et son altesse.

Mes jeunes pousses peinent à réaliser que ce qui repose sur la paume de leurs mains est le prémice d’une des grandes énergies de la nature, un exemple de ce qui force notre respect tout au long de notre existence : un condensé de vie en attente d’éclosion.

En définitive et de guerre lasse, les six petits glands gagnent notre maison.

Je leur trouve un berceau sur la terrasse : ils sont déposés sur le terreau encore humide d’un pot de terre un temps déserté par les plantations.

Pluie, vent, froidure, jour ou nuit, les règles du jeu sont claires. Les six embryons du géant sylvestre  resteront exposés aux éléments et je n’interviendrai pas.

Si leur destin est de se développer, alors, nous aviserons.

Puis, de petits matins glacés en clarté de lune, le temps file si rapidement que nous ne parvenons qu’à peine à en apercevoir sa queue de comète insaisissable.

Un jour, d’un œil curieux glissé dans la jatte en terre, je constate que la force créatrice a fait son œuvre.

Ils sont trois, désormais, à accomplir le miracle commun de la perpétuation d’un être : une pointe mi-verte, mi-rouge perce la peau lisse des glands et se jette avidement dans la matrice nourricière.

Les enfants, émerveillés, observent les pousses fragiles qui forent la terre à la recherche de leur survie.

Avant la gelée et la neige, je rapatrie nos jeunes plantules dans la chaleur de notre maison et sous nos yeux conquis, la vie explose un peu plus malgré l’hiver qui s’est installé à l’extérieur.

Trois tiges d’un joli vert printanier s’élancent vers la luminosité pourtant tamisée.

De belles feuilles crénelées se déploient, ivres de joie et de soif de grandir et de se développer.

Les enfants réalisent enfin qu’il s’agit bien d’arbres qui croissent dans la poterie : les feuilles pétillantes sont copies conformes de celles de leur géniteur de la forêt.

« On pourra les garder ? demandent les enfants, inquiets de ma réponse.

-          Oui et si nous réussissons à leur apporter ce dont ils ont besoin, de l’eau, de la bonne terre de l’espace et de l’attention, ils pousseront encore.

-          C’est bien, alors on va s’en occuper. »

Bientôt, un quatrième gland se prend au jeu et perce sa carapace végétale. Il se développe si rapidement qu’il donne l’impression de vouloir égaler la croissance bien avancée de sa fratrie.

Oui, nous ferons notre possible pour soutenir nos petits arbres et leur donner une chance de s’épanouir.

Les six petits glands auxquels Jocelyn tenaient tant, nous ont rappelé involontairement une leçon primordiale sur les conditions du maintien de la vie : offrir une chance et protéger ce qui apparaît de prime abord si insignifiant à nos yeux bien trop déconnectés de la simplicité des petits riens qui font pourtant l’essence de l’existence.

Les six petits glands nous ont emportés à leur suite sur le chemin de ce qui les mènera vers leur pleine réalisation : devenir des êtres guidés par la sagesse de ceux qui laissent glisser les années et les décennies sur leur écorce sans verser dans notre folie.

Ils portent l’avenir.

Cet avenir qui circule dans leur sève et qui s’imprime dans les nervures des feuilles qui demain, joncheront notre chemin.


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