Puisque la réédition du Rayon de la Mort se fait attendre, revenons sur l’un des classiques de Dan Clowes, le fameux Ghost World, récemment réédité en version collector et dont le succès à donné lieu à une adaptation au cinéma par Terry Zwigoff.
- Ghost World, par Dan Clowes
Enyd Coleslaw et Rebecca Doppelmeyer achèvent leur scolarité, elles vont devoir entrer dans la vie active, s’assumer. Pour faire face, elles décident d’habiter ensemble, de vivre selon leurs règles. Mais rapidement, la réalité va se rappeler à elles, et chacune va y faire face à sa manière.
Un monde fantôme
Ce monde dont il est question dans Ghost World est autant celui qui se présente à Enid et Rebecca que celui qu’elles ont connu, celui de leur enfance.
Avec la fin du cadre de l’école, avec la liberté tant attendue et fantasmée qui arrive enfin, se présentent tout un monde de possibilités encore mal envisagées. C’est aussi un monde dont la réalité semble défaillante aux yeux des héroïnes, d’Enid surtout. Pour elle, seuls des fantômes peuplent ce monde, ou c’est du moins ce dont elle essaie de se persuader, elle si peu sûre de ce qu’elle est, de ce qu’elle veut. Rebecca, elle, tient ce monde à distance grâce au cynisme, à l’évasion dans le monde de papier glacé des magazines pour adolescentes.
Les deux jeunes filles doivent maintenant intérioriser un tout nouveau monde, mais tout reste encore bien flou à leurs yeux : ce qu’elles veulent, ce qu’elles peuvent… Le monde fantôme est en elle, parce qu’elles se cherchent énormément, ne savent pas où et sur quoi se fixer.
Le monde fantôme est aussi celui de l’enfance, on l’a dit. N’en subsistent plus que des fantômes que les filles tentent de convoquer lors de séances particulièrement douloureuses. Enid, par exemple, retombe sur un disque qu’elle pensait perdu, et doit se rendre à l’évidence, un monde meurt, son monde intérieur.
Une amitié se meurt
Autre fantôme de l’œuvre, mais en devenir celui-ci, l’amitié entre Enid et Rebecca, jadis scellée par des serments adolescents. La réalité, la maturité plus vite arrivée chez Rebecca, le refus d’Enid d’abandonner son monde d’enfant vont précipiter la mise à mort, ajoutant du spleen à cet album pourtant déjà bien chargé en la matière. C’est entre les deux filles que s’installe un monde fantôme, parce qu’elles ne se comprennent plus vraiment. Chacune refuse d’y croire, puis avec l’acceptation vient un peu de l’âge adulte, de ses désillusions mais aussi de ses possibilités, l’amour notamment. Rebecca pourra enfin laisser s’exprimer son amour pour Josh, ami de longue date, parce que ce sentiment a sa place dans le nouveau monde de la jeune fille.
Le fabuleux dessin de Clowes
Le dessin de Daniel Clowes, si particulier, rend à merveille ce froid qui envahit la relation entre les deux héroïnes et leur monde. Ce monde fantôme prend vie case par case, avec de grands vides, des couleurs pâles, presque délavées. Les visages de Clowes sont angoissants, et l’on ressent avec les filles cette peur d’affronter un monde dont elles ne font pas partie, pas encore. Clowes sait parfaitement créer des freaks, ce que semblent être bien des adultes aux yeux des héroïnes, ce qu’Enyd est totalement. Clowes rend d’autant mieux ces freaks qu’il a énormément de tendresse pour eux, que tous sont attachants, presque fascinants dans leur étrangeté.
Le Dessin de Dan Clowes, si particulier
Un monde fantôme spécial
La réédition récemment sortie de Ghost World offre, en plus de l’œuvre elle-même, le script du film, et 50 pages de matériel supplémentaire et encore jamais réuni : de nouvelles planches, une nouvelle introduction et des annotations à la bd ainsi qu’une retrospective sur tout ce que la bande dessinée et le film ont pu produire comme artworks et objets de merchandising.
Si vous faites partie des chanceux qui vont encore pouvoir découvrir cette œuvre, n’hésitez pas un instant, le terme roman graphique prend là tout son sens tant Ghost World est dense, tant le dessin sert ici l’œuvre, ne se contentant jamais de simplement l’illustrer.
L'édition spéciale de Ghost World
À noter :
Le film tiré de la bande dessinée adapte en grande partie l’histoire, mais ne la trahit pas pour autant.
Ghost World est devenu une œuvre culte pour beaucoup et a permis à de nombreux réticents de découvrir le monde de la bande dessinée dans ce qu’il a de plus fascinant, adulte et agréable.