Jeanne Benameur, une auteur que l'on ne présente presque plus sur la blogosphère, tant sont nombreuses les blogueuses qui ont lu quelques uns de ses livres et qui ont été séduites, touchées, voire bouleversées par cette lecture.
Cet hiver, j'ai chroniqué ici LES MAINS LIBRES et l'année dernière, LES DEMEUREES
Rencontrée au Salon du livre de Paris 2009, la romancière m'avait confiée son adresse mail. A mes questions "habituelles", la romancière m'a demandé de pouvoir répondre par un texte. J'ai l'immense bonheur et la fierté de vous le présenter ici. Bonne lecture !
Chère Géraldine, bonjour et merci de votre patience. J’ai relu vos questions et donc je me permets cette lettre en réponse. Vous y trouverez la réflexion que vos questions ont engendrée plus que des réponses. Dans le fond un questionnaire n’est-il pas toujours fait pour mener à un questionnement ?
Depuis l’enfance ma façon de ressentir les choses du monde est intense, je crois. Si intense qu’il me faut donner forme à ce que je ressens. Nous avons tous nos façons de « donner forme ». Nous pouvons parler à des amis, choisir une musique, aller courir …tant de façons différentes de vivre nos émotions.
Pour moi, lorsque l’émotion est intense et durable, je sais que c’est l’écriture qui est là. Cela donnera un texte. Je n’en sais pas plus. J’avance en ignorance sur la route et j’aime ça. Quelque chose en moi de fort, de profond est à l’œuvre. Un remuement dont j’ignore l’issue. Je me laisse éprouver ce qui demande à voir le jour. C’est une aventure. L’histoire comme on dit n’arrive qu’après. L’histoire, c’est une sorte de maison que je construis pour loger l’émotion.
Je travaille à cerner ce qu’il faut d’ombre et de lumière pour chacun des « personnages ». Ce que je vois des personnages, c’est une densité au monde. Par exemple pour La Varienne et Luce, je « voyais » la silhouette massive, lourde et à côté une petite silhouette légère, presque dansante, dans l’espace de l’unique pièce qu’elles habitent toutes les deux. Pour Madame Lure, c’est le gris, le dru, qui m’est venu, une femme petite, à la taille qui ne se marque pas, une femme comme on en croise dans les supermarchés, qu’on oublie ensuite. Mais voilà, elle insiste. Je ne l’oublie pas. Je la suis et j’entre avec elle chez elle et je la vois, habitée d’un imaginaire formidable, dans ses voyages que nul ne peut soupçonner.
J’aime les êtres humains. Profondément. J’aime en chacun d’eux la part de rêve et de force extraordinaire qui ne demande qu’à porter la vie plus loin. Je suis convaincue que notre imaginaire est une force considérable, trop peu employée. Une force de changement. Remisée trop souvent au rang des choses qui ne servent qu’à divertir, au profit de ce qu’on appelle « réalité »qui prend tout le poids du sérieux. Or, pour moi, l’imaginaire est une puissance très sérieuse qui permet d’agir sur la réalité, en profondeur.
L’enfance le sait.
Mon attachement à l’enfance est sans doute lié à cela.
Il y a en chacun de nous la part d’enfance qui est là, vivante. Je ne m’en départis pas. Et cela ne m’empêche pas d’être aujourd’hui la femme que je suis. Simplement je refuse le découpage arbitraire en tranche d’âge. Ecrire pour la jeunesse ou pour l’âge adulte, c’est écrire de toute façon. Nous sommes tout à la fois l’enfant et le vieillard parce que nous sommes humain et que notre pensée est nourrie aussi d’imaginaire.
Alors oui en écrivant j’espère bien être un jardinier invisible. J’espère cultiver un jardin où d’autres, quel que soit leur âge, trouveront de quoi nourrir leurs rêves et qu’ils pourront ensuite retourner à leur vie, enrichis de sensations, d’impressions, de réflexions. C’est une espérance quand on écrit. La seule ; celle du partage. Peut-être parfois juste parvenir à nommer quelque chose que les autres éprouvent aussi et qu’ils sont heureux et plus forts d’avoir trouvé, nommé, dans un texte.
Voilà Géraldine, ce que je peux vous dire aujourd’hui.
Si vous avez été sensible aux Demeurées et aux Mains libres, peut-être trouverez-vous aussi une lecture qui vous va avec « Laver les ombres » paru chez Actes Sud en 2008
En janvier prochain paraîtra un nouveau roman “ Les insurrections singulières” chez Actes Sud et je travaille en ce moment à un texte pour adolescent (et plus grand) “Pas assez pour faire une femme”...pour Thierry Magnier.
Bien amicalement
Jeanne Benameur