Quitter l'euro, compliqué mais pas impossible

Publié le 13 avril 2010 par Edgar @edgarpoe

Dans un billet précédent je renvoyais à un article de Paul Krugman qui expliquait pourquoi l'euro était voué aux pires difficultés dès le départ, tant le volontarisme politique l'a emporté contre le réalisme économique dans la mise en place de la monnaie unique.

Krugman renvoyait lui-même à un article de 2007 de Barry Eichengreen pour expliquer qu'il était impossible de quitter l'euro.

En fait, si l'on reprend l'article d'Eichengreen, et comme l'a indiqué le seul commentateur, ce n'est pas du tout impossible, même si, effectivement, c'est très compliqué en période de crise.

Eichengreen explique en effet, ce qui est indéniable, que le retour au Franc, pour prendre un exemple, devrait être préparé techniquement, de la même façon qu'a été préparé techniquement le passage à l'euro (programmation des machines à pièces, des logiciels comptables etc..)

Pendant cette période où l'on continuerait à utiliser l'euro, les ménages et les entreprises, anticipant une dévaluation du Franc, seraient tentés de placer à l'étranger leurs liquidités, créant un début de panique bancaire ("the mother of all financial crises" selon Eichengreen).

Comme le lui fait remarquer le seul commentateur de son article, ceci vaut pour le cas d'un pays sortant de l'euro parce que sa situation est désespérée. Il n'est pas du tout certain qu'un pays qui quitterait l'euro dans le cadre d'une stratégie de relance intelligemment expliquée se heurte aux même difficultés.

Il est tout à fait possible en effet d'inscrire un plan de sortie de l'euro dans un cadre général de rétablissement économique :

1. en définissant un plan de rétablissement des finances publiques de moyen terme. Ce plan pourrait inclure le rachat à bas prix d'actifs publics indûment bradés pour complaire aux critères du plan de stabilité (les autoroutes par exemple, merci à Villepin le flamboyant) ;

2. comme l'a établi la Banque Centrale européenne, quitter l'euro c'est quitter l'Union européenne. C'est donc faire immédiatement au moins 7 milliards d'économies annuelles. Nous pourrions continuer à verser un milliard d'euros au titre de politiques de coopération, pour ne pas paraître mesquins, et conserver 6 milliards d'euros par an pour un fonds de stabilisation du cours du Franc ;

3. il faudrait définir une cible de parité non plus avec la seule allemagne, comme c'est actuellement le cas (l'euro revient, pour la France, à adopter la politique monétaire qui convient à l'Allemagne), mais avec un panier de devises comprenant le dollar, le yuan, l'euro (ou ce qu'il en restera), le yen. A charge pour nous de réévaluer cette cible au besoin mensuellement, et de taxer les importations en provenance des pays aux monnaies sous-évaluées, comme proposé dans le cadre d'une taxe de libre-échange. Ceci répond par avance à ceux qui craignent une spirale de dévaluations compétitives. Et les rentrées de cette taxe de libre-échange pourraient servir à financer la réindustrialisation de notre beau pays.

  4. Pour éviter les fuites de capitaux, il n'est pas inenvisageable de mettre en place provisoirement un contrôle des capitaux. Cela sonne comme un retour à la lampe à huile, mais ce n'est pas si loin et rien ne dit que l'on ait gagné à abandonner successivement tous les moyens d'intervention de la puissance publique - la Chine conserve un contrôle des changes et le monde fait avec, et la Chine s'en sort plutôt bien.  

  5. comme la crise actuelle est une crise de demande liée à la pression sur les salaires, il est important de prévoir une hausse des salaires. Comme l'objectif est cependant de ne pas effrayer les marchés plus que de raison, on peut prévoir un rattrapage sur cinq années. Cela permet par ailleurs d'éviter que le rattrapage en une seule fois parte directement en importation d'Ipods fabriqués en Chine. Il s'agit de laisser le temps aux productions françaises de redémarrer doucement.  

  6. En récupérant son siège à l'OMC, par le fait de sortir de l'Union européenne, la France pourra poser quelques bonnes questions. Par exemple sur la fiscalité qui pèse si peu sur les groupes internationaux implantés en Irlande - et qui y domicilient leurs bénéfices. La concurrence fiscale déloyale pourra être abordée directement, sans passer par un commissaire européen toujours défavorable à la régulation des échanges. La France pourra également demander l'établissement de règles sociales minimales dans les pays exportant chez nous - pas de raison qu'un patron employant des gens au noir en France encoure la prison alors que s'il délocalise en Chine ou dans un pays sans droits sociaux  il gagnera une médaille.  

  7. De façon générale, il est important d'annoncer la couleur longtemps à l'avance et de rendre crédible une inflexion stratégique majeure. Les industriels, dans l'automobile par exemple, planifient l'évolution de leur appareil de production quelques années à l'avance. Si l'on veut que des usines ouvrent à nouveau en France et pas en Turquie, il faudra non pas taper du poing sur la table mais rendre crédible le fait que la concurrence déloyale généralisée c'est fini.

8. Pour ce qui est de la procédure de sortie de la zone euro, elle n'existe pas. Il faudra donc sortir de l'Union européenne - c'est de toute façon indispensable, ne serait-ce que pour pouvoir négocier directement à l'OMC. Comme le précise Cédric Mas, sur le blog de Paul Jorion, trois mois suffisent pour cela (merci à Laurent pour la référence).  

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  Toutes ces idées demandent à être polies, modifiées, précisées. Mais je suis persuadé que nous ne nous sortirons pas de la situation actuelle sans solutions rompant avec les politiques conduites depuis 1983, et un peu plus précises que de réclamer une autre Europe ou une Europe qui marche !