Se lancer dans la critique de son film préféré constitue une démarche très intimidante, voire inabordable. Face à l'oeuvre cinématographique qui vous a le plus touché, remué, bouleversé, comment ne pas rester, par un simple avis, en deçà de la réalité ? En effet, les mots semblent vains et incapables de traduire avec justesse l'émotion et la beauté qui transpirent de Paris, Texas, film d'une force telle qu'il me serre les tripes et me renverse l'âme à chaque vision.
Récit de la renaissance d'un homme (Travis, incarné par Harry Dean Stanton), des années après une histoire d'amour passionnelle avec Jane (Nastassja Kinski), qui l'a littéralement consumé et anéanti, le film de Wenders imprime définitivement sur la rétine, dans le coeur et dans la chair du spectateur des images, des plans, des émotions, des sensations d'une force incomparable et indescriptible. Les multiples visions de ce film me serrent irrémédiablement le coeur et me rendent physiquement fébrile tant l'histoire et sa narration parviennent à se frayer un passage jusqu'à la fibre la plus infime de mon être.
La mise en scène de Wenders s'attache à coller au plus près de l'émotion de ses personnages, parvenant à créer une empathie chez le spectateur rarement atteinte dans une oeuvre de fiction. Ainsi, telle Cécilia dans La rose pourpre du Caire, l'on aimerait que les personnages sortent de l'écran pour pouvoir les prendre dans nos bras.
Par ailleurs, le film est rempli de séquences si poignantes que le ventre se noue à plusieurs reprises, et que, sans crier gare, les larment se mettent à ruisseler. Ainsi, la scène en super 8 retraçant les jours heureux du couple et de leur enfant agit comme un rouleau compresseur et l'on en ressort la gorge nouée, les yeux mouillés et le ventre déglingué. La grande force de Wenders est pourtant de ne jamais sombrer dans le pathos, et de respecter la dignité de ses personnages, victimes malgré eux d'une passion qui les a dépassés.
Mais ce n'est encore rien comparé à la célèbre scène finale, huis-clos de 15 minutes dans une cabine de peep-show, où Travis, ayant retrouvé Jane, lui parle à travers un miroir sans tain. Summum selon moi de l'art cinématographique, cette séquence constitue non seulement le point d'orgue du film mais également celui de ma vie de cinéphile. Le jeu de Nastassja Kinski, face caméra, est d'une puissance irréelle, et la scène surpasse en émotion et en puissance narrative tous les films du monde. La symbiose entre le jeu des acteurs, le choix du cadre, la qualité d'écriture du monologue de Travis et le lieu de la scène, atteint des sommets que je n'ai jamais plus retrouvés.
Oeuvre parfaite étant parvenue à faire physiquement partie de moi-même au même titre qu'un bras ou une jambe, Paris, Texas est un film que j'ai systématiquement peur de revoir , tant l'expérience reste traumatisante émotionnellement à chaque vision.
En définitive, si je ne devais sauver qu'un film parmi tous ceux que le cinéma nous ait offert, Paris, Texas serait celui-ci, sans l'ombre d'un doute ni d'une hésitation. Un chef d'oeuvre absolu, véritable miracle cinématographique, expérience tant physique que psychologique, qui ne me quittera jamais.