Le débat sur les retraites est ouvert, et il est rapidement devenu bouillant grâce à un enquiquinant rapport qui a le culot de mettre quelques chiffres clairs sur la table. Le problème semble insoluble : il faut trouver des sous -vite, des sous, encore des sous – pour éviter la faillite du mââgnifique système de retraite par répartition que le monde entier nous laisse essayer jusqu’à son terme. Heureusement, Martine, la secrétaire d’un de principaux partis socialistes de France, a trouvé une soluce, ce matin, en se levant.
Prenant sa plus belle plume, Martine s’est empressée de coucher sur le papier la fulgurance de sa pensée et d’apporter sa pierre à l’édifice.
Et voici ce que ça donne…
En ce début de XXIe siècle, la France a franchi le seuil des 80 ans en matière d’espérance de vie. Ce sont des années gagnées, des années utiles pour soi-même et pour autrui, une conquête à laquelle notre modèle social, si décrié par la droite, n’est pas étranger.
Vous remarquerez qu’on sent quelque chose de très personnel pour Martine dans cette assertion : elle veut clairement, par ces formules pleines de vivrensemble et de conquête sur soi-même et pour les autres, faire savoir que de nos jours, on peut rester actif même après une bonne mise en bière. Ce qui donne, au passage, une saveur toute rondelette au modèle social dont on se demande exactement qui veut nous le copier.
Le second paragraphe cogne très dur, mais dans le hors-sujet :
En même temps, l’allongement de la durée de la vie ne s’accompagne pas toujours d’une valorisation des individus . Sur d’autres continents, vieillir est positif, symbole de sagesse et d’expérience. Mais dans la société du live et du in, les cheveux blancs, les rides, les années sont souvent ignorées, voire stigmatisées. Notre modernité, consciemment ou non, organise une véritable exclusion de l’âge et du grand âge. Telle est l’ambivalence du vieillissement, à la fois cadeau et discrimination.
Oui oui, certes certes Martine, la vieillesse est parfois un naufrage, mais là, il s’agit seulement de savoir si on va pouvoir payer les retraites, hein. Les considérations philosophiques phumeuses camouflent mal les problèmes phynanciers… Et tiens, justement, on commence à sentir que le sujet serait potentiellement abordé dans les paragraphes suivants :
C’est aussi l’un des plus grands défis à relever par la puissance publique, celui du changement des conditions d’accès des seniors à l’autonomie, au logement, à la mobilité et aux soins, aux loisirs, ainsi que de leur indispensable financement. Ces enjeux seront au cœur du débat sur l’avenir des retraites. Les socialistes seront au rendez-vous des contre-propositions.
Je suis dubitatif : depuis que la puissance publique s’occupe des séniors, les familles lui ont délaissé cette responsabilité avec le succès qu’on connaît, et je n’aurai même pas besoin d’insister sur la canicule de 2003 pour rappeler qu’à mesure que l’état, pardon la Public Powâ s’est faite plus insistante à gérer les vieux, ceux-ci s’en sont retrouvés toujours plus malheureux. Mais baste, passons et admettons donc que la puissance publique, heureuse et guillerette de son historique scintillant sur tous les autres problèmes, fait des miracles et veut se lancer dans ce nouveau défi.
Et là, je me dis slurp :
Nous serons fermes sur nos valeurs et inventifs pour trouver des solutions qui garantissent la pérennité et l’équité du système par répartition. Nous n’acceptons pas l’appauvrissement de nos aînés, qui enferme tant d’entre eux – et d’abord d’entre elles – dans des « minimum vieillesse » de quelques centaines d’euros par mois.
Aaaaah, voilà la Martine qu’on connaît : toute en petites phrases décidées, qui ne s’en laisse pas conter par la méchante réalité, et surtout, qui n’oublie aucun-e citoyen-ne, surtout celles qui sont plus égaux que d’autre ! Et puisqu’on parlait de défis pour la puissance publique, elle s’en lance un bien velu : s’arcbouter sur les dogmes qui ont fait le succès retentissant du socialisme et, en même temps, renouveler le stock d’idées du PS (les derniers cartons, entreposés dans une cave de la rue Solférino, avaient moisis en prenant l’eau lors de la crue de la Seine, en 1910). Voilà qui ne laisse pas d’impressionner.
Et la suite confirme :
Nous le ferons sans céder aux ultimatums. Le gouvernement cherche à dramatiser pour imposer ses décisions à sens unique dans l’urgence quand il faudrait, comme le demandent les organisations syndicales, prendre le temps d’une véritable négociation pour trouver les voies d’une réforme juste et viable dans la durée. A cet égard, la statistique ne saurait remplacer la politique: le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) est un élément parmi d’autres de l’évaluation financière et ne doit pas être instrumentalisé pour imposer des choix de société.
Ceci veut dire : « Les chiffres, la réalité, tout ça, c’est bien joli, mais nous, on veut du rêve, avec des gens heureux qui vivent ensemble et savent apprécier leurs différences tout en dansant dans des farandoles colorées et festives ». En gros. Si le COR dit que la situation est méga-grave, c’est qu’il est instrumentalisé. Et puis bon, on a tout de même pas mal de temps : 2050, hein, c’est quand Martine fêtera ses 100 ans, tout de même.
Nous avons donc tâté, avec ce paragraphe, de la partie « ferme sur nos valeurs ». Pour bien enrober le tout, elle remet ça un peu plus loin, avant d’attaquer la partie « inventifs pour trouver des solutions » :
Les salariés et les retraités ne peuvent pas être les seuls sur lesquels reposent tous les efforts. Réformer les retraites suppose d’introduire sans tarder de nouvelles ressources dans le système. Ce qui ne signifie pas de peser sans fin sur les salariés ni de diminuer les pensions.
Vous voyez ? On ne va pas cogner sur les salariés (= fond de commerce) et on ne va pas diminuer les pensions (=fond de commerce aussi). Valeurs fermes, tout ça.
Et pour la giclette d’innovations fulgurantes, c’est ici :
… jamais la droite n’a pris la peine de soumettre les très hauts revenus, les produits du capital financier ou de la rente à l’impératif de solidarité alors même qu’un million de retraités vivent sous le seuil de pauvreté.
Les pistes ne manquent pas: élargissement de l’assiette des cotisations à la valeur ajoutée (ndh16 : = taxe), cotisations sur les stock-options et d’autres rémunérations non assujetties (ndh16 : = taxe), abolition des privilèges fiscaux qui minent la cohésion nationale (ndh16 : = taxe), surtaxe de 10 % de l’impôt sur les sociétés acquitté par les banques (ndh16 : = taxe), affectée au fonds de réserve des retraites, etc. Les choix opérés devront être réévalués à étapes régulières, tant ils dépendront de l’évolution de la démographie, de la croissance, de l’emploi et de la masse salariale, sans pour autant remettre en cause la stabilité des droits indispensable à la confiance dans le système pour les jeunes générations.
On ne peut qu’applaudir l’inventivité socialiste à l’ouvrage : ça débarbouille grave les vieilles habitudes qu’on avait sur les babines ! Pour permettre au système de retraite par répartition de tenir coûte que coûte, il faut et il suffit de Taxer : Taxer Les Riches, Taxer Les Autres, Taxer Ici et Taxer Là.
Pourquoi n’y avait-on pas pensé plus tôt ?
Quant à partir plus tard, laisser une part de capitalisation, augmenter les cotisations, diminuer les pensions, c’est niet niet niet on vous dit non mais ça va bien à la fin. Le Soldat Répartition, qui est pourtant allongé sous un arbre, face contre terre et ne bouge plus trop, se passera de tout ça ! Deux petits cachets de vitamines et un peu de gomina pour ajuster la coiffure, et le petit soldat repartira comme en 1941 ! Non ?
Mais Martine ne s’arrête pas là ! A la puissance publique de tout à l’heure succède la puissance socialiste de l’enfumage de lecteur : élargissons le débat et parlons dentelle.
Au-delà, chacun le sait: le bien-être des Français qui vieillissent ne sera pas assuré en comblant les seuls déficits comptables. L’allongement de la vie a fait naître d’autres déficits: d’utilité sociale pour les seniors, d’emplois qualifiés pour accompagner les mutations de l’âge, de liberté pour ceux, sans cesse plus nombreux, qui souhaitent rester à domicile, de logements et d’équipements adaptés aux personnes dépendantes, de soutien pour les familles confrontées à la maladie d’Alzheimer ou aux pathologies dégénératives, de valorisation accrue des filières gériatriques à l’hôpital ou encore de la reconnaissance du droit de mourir dans la dignité… Le progrès en âge fait émerger des aspirations mais aussi de nouvelles inégalités. Celles qui se révèlent quand la société se défait et se détache de ses plus anciens.
Aaah, encore une envolée lyrique comme dans les premiers paragraphes ! C’est formidable, là, Martine, tu t’es lâchée total-grave et ça donne une explosion d’idées innovantes dans une nouvelle cosmogonie syncrétique de grands principes unificateurs ! Il faut dépasser les bêtes calculs comptables, oublier les ennuyeux déficits des caisses de retraites pour partir à l’assaut de la méta-analyse ! Avec les retraites, pas de doute, Martine, tu tutoies l’univers, tu résouts le Lagrangien des problèmes sociaux du pays, tu factorises l’infini et tu divises par zéro avec brio !
Et le Chuck Norris des retraites françaises ne se contente pas de ça ! Elle en remet une couche (ou plutôt, plusieurs), avec des paragraphes comme celui-ci :
Mieux vivre le grand âge dans une société solidaire, c’est non seulement assurer des retraites décentes – nous en sommes encore loin pour des millions de nos concitoyens –, mais également offrir la possibilité à chacun de vivre et non de survivre, de se loger dignement, d’être soigné sans retard dans un pays qui n’accepte pas de devenir un « désert médical ».
Eh oui, dans une société solidaire qui équilibre bien ses petites caisses de retraite tout comme il faut, c’est bisque de homard à tous les repas, la croisière dans les Caraïbes et Les Feux de l’Amour trois fois par jour !
Souhaitons que personne ne dise à Martine, un jour, que tous ces problèmes sont certes intéressants, mais si on les empile en plus de celui de la retraite, on aboutit à l’état actuel de la France, état pour lequel elle ne peut pas se dédouaner d’une certaine responsabilité, même si, l’âge aidant, elle ne s’en rappelle plus trop bien : le choc d’une telle révélation risquerait de ruiner son après-midi bridge avec ses copines !
Oui, il est grand temps que la ville du XXIe siècle s’adapte aux âges et repense accès, déplacements et espaces collectifs pour apporter plus de douceur… et même de lenteur.
Car ce qu’elle veut, la Martine, au fond, c’est que les jeunes, là, avec leur mobylette qui pétarade, arrêtent de passer devant sa fenêtre, là ! Ça fait un boucan d’enfer, cette histoire, et ça dérègle son sonotone, merde.
…
Sa conclusion est à la mesure du reste : ayant soigneusement évité toute proposition vaguement opérationnelle, s’étant délectée d’un barbotage frétillant dans un hors-sujet qui a frisé plusieurs fois le ridicule aux fers chauds, elle achève sa brillante démonstration d’incompétence par le constat d’évidence que, finalement, plutôt que tout un fatras d’allocations et d’interventionnisme d’état compulsif, répété et finalement destructeur, rien ne vaut la famille et les voisins.
N’oublions jamais, non plus, qu’aucune allocation ne remplace les chaînes de soins, les solidarités familiales et amicales, l’attention du voisinage, l’engagement de la société. A ce prix, la réhumanisation de notre société prendra tout son sens.
En effet, Martine, si nous laissions un peu, finalement, les gens faire ce qu’ils veulent de l’argent qu’ils ont péniblement gagné, si on les laissait s’organiser sans leur dire, régulièrement, comment ils devraient penser ? Si la responsabilité, finalement, n’était pas là ?
Seule la dernière phrase, à mi-chemin entre l’Almanach Vermot et les petits dictons trouvés dans les gateaux-surprise en fin de repas chinois, permet de comprendre que tout ceci, c’est du flan et qu’en réalité, Martine s’en contrefiche, de tout ce bazar :
C’est ainsi que nous ajouterons de la vie aux années, et pas seulement des années à la vie.
Aaaaah, Martine, tu es poète quand tu te laisses aller !
Mais Martine, tu sais, le plus simple, quand tu n’as rien à dire, c’est surtout, de ne pas l’écrire.