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Publié le 09 avril 2010 par 509
Quel cadre politique pour la reconstruction d'Haïti ?
Par André Lafontant Joseph
On a parlé à New York de beaucoup de milliards et de beaucoup d'institutions de mise en œuvre de la reconstruction d'Haiti, mais la seule allusion au cadre politique n'a été faite que par le Président Préval. Sa remarque a concerné strictement la nécessité de la stabilité politique, en d'autres termes, la continuité de son pouvoir durant 18 mois, soit de facto, soit grâce à l'organisation d'élections "bouyi vide" cautionnées par la communauté internationale. Il ne saurait en être autrement puisque son mandat se terminant le 7 février 2011, il n'a jamais fait mention du dialogue qui s'imposerait en la circonstance avec les partis politiques et la société civile. Dans un pays ou la politique a été le principal obstacle à tout changement, la conférence de New York donne l'impression que l'argent et les montages techniques et financiers suffisaient pour remettre le pays sur les rails et que le contexte politique ne comptait pas.
Comme l'a si bien signalé Mme Nancy Roc dans son émission du samedi 20 mars 2010, la reconstruction d'Haiti est loin d'être uniquement une affaire de moyens financiers. Elle est technique, elle est sociale et j'ajouterais surtout politique. C'est désolant de voir des hommes politiques qui ont participé au processus de fragilisation du pays et à l'engorgement de Port-au-Prince (deux phénomènes qui nous ont valu ces centaines de milliers de morts) se positionner comme s'ils étaient les premiers ou les seuls qualifiés pour remettre le pays sur les rails. À cette responsabilité fondamentale, qu'ils copartagent dans l'ampleur du drame, s'est ajoutée leur incapacité à mobiliser et à organiser la solidarité nationale, s'en remettant totalement à l'aide internationale et par la suite, démontrant une incapacité totale à orienter et à coordonner cette aide. Je pointe particulièrement du doigt le président René Garcia Préval.
Si l'on devait se fier au discours technique et cohérent du Premier ministre, Jean Max Bellerive, on pourrait croire que quelque chose de positif pourrait sortir de sa collaboration avec M. Préval. En réalité, il n'en est rien. Si vous ne croyez pas, demandez à l'ex-premier ministre, Mme Pierre Louis. Je ne doute pas que M. Bellerive, sous un autre régime, serait probablement une ressource extrêmement utile dans cette tâche herculéenne qui nous attend. C'est le cas pour bien d'autres ministres. Mais M. Préval, c'est le ver dans le fruit. Il voudrait nous détourner de la mobilisation citoyenne pour la reconstruction pour nous embarquer dans des confrontations électorales gratuites. Lui qui a refusé d'organiser les élections indirectes, qui a retardé les législatives, jusqu'à ce que le tremblement de terre soit venu brouiller ses cartes, il devient brusquement le champion de la légitimité démocratique et institutionnelle. Je ne suis pas dupe du risque que représente cette dénonciation frontale de son incapacité et surtout de son entêtement à garder le pouvoir ou à vouloir le passer à un poulain qu'il contrôlerait, ce qui reviendrait au même. M. Préval, bien avant le 12 janvier avait fait du slogan de la soit disant "stabilité politique" un leitmotiv. Mais cette expression, dans sa bouche, signifie simplement continuité politique, maintien au pouvoir d'une équipe c'est-à-dire le contraire de l'alternance. Selon lui, pour que le pays ne sombre pas dans un chaos pire que ce qu'il a contribué à créer, il faut qu'il reste au pouvoir. Si l'on envisage un changement par quelque mécanisme que ce soit, négociation politique ou élections sérieuses, le pays va connaitre l'instabilité . Notons le chantage et la menace à peine voilée. Quand le Sénat, contre la volonté de M. Préval, voulait interpeller l'ex premier ministre Jacques Édouard Alexis, l'argument qui était évoqué contre l'exercice de cette prérogative constitutionnelle, indépendamment de son bien fondé, était le risque de plonger le pays dans l'instabilité politique. Par contre, quand c'était le tour de Mme Pierre Louis, il n'en était point question. Dans le premier cas, l'interpellation se faisait à l'insu du chef de l'État dans le second, celui-ci était partie prenante. Deux poids et deux mesures.
Organiser des élections législatives revient à monter une machine contrôlée par la Présidence capable de prévenir la constitution d'une opposition parlementaire conséquente, parce que ce serait de l'instabilité politique. Pour empêcher cet épouvantail dans lequel certains pays amis de la communauté internationale ont mordu, on avalise des fraudes électorales grossières. On avalise l'introduction de personnalités douteuses au Sénat, par des combines les plus révoltantes. Il semble qu'envisager que le président d'après le 7 février 2011 ne soit pas le Président Préval lui-même ou un de ses proches, serait l'instabilité politique suprême qui jetterait le pays dans un abime plus profond que celui où nous sommes entrainés par les différents courants d'un régime vieux maintenant de 30 ans.
Pendant que le Premier ministre, M. Bellerive fait brillamment état, à l'émission Métropolis du 3 avril 2010 de tous les grands chantiers qui devraient s'ouvrir dans les prochains dix huit mois, pour passer de l'humanitaire à la reconstruction, M. Préval lui, dans son discours face aux bailleurs, à New York, n'a de préoccupation que la continuité politique, c'est-à-dire le maintien du pouvoir. Ses conseillers ont dû pourtant lui expliquer que changement n'est pas synonyme d'instabilité et qu'en économie, ce qui est préjudiciable, c'est l'incertitude politique, le fait de ne pas savoir dans quelle direction un pays va. Or M. Préval se prépare à engager une bataille contre la classe politique et contre tous les citoyens qui ne partagent pas son obstination à un moment ou le pays devrait se mobiliser pour se donner d'autres repères et profiter de la générosité de la diaspora et de la communauté internationale.
Nous serons bien obligés même à contre cœur de livrer cette dernière bataille car M. Préval se fait l'obstacle principal à notre sauvetage. Il est temps de dire non au Président Préval et à tous les secteurs qui se ferment les yeux ou se lavent les mains face à ses dérives et ses tentations antidémocratiques. Il est temps de faire comprendre que la seule façon d'éviter l'instabilité politique, c'est d'entamer tout de suite un dialogue politique pour déterminer par consensus la formule de transition à suivre et pour redonner un peu de fierté à ce pays dont les palmarès les plus cités sont : misère, incompétence et corruption.
Haïtiens compétents, haïtiens honnêtes, haïtiens moralement droits, c'est le moment ou jamais de montrer que nous sommes résolument contre cette politique du chantage et de la peur et que nous pouvons nous concerter pour sauver notre pays.
André Lafontant Joseph, Survivant du 12 janvier 2010

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