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Construire une Haïti résiliente Le tremblement de terre d...

Publié le 11 avril 2010 par 509
Construire une Haïti résiliente
Le tremblement de terre du 12 Janvier 2010 est le rappel tragique d'une réalité géologique: la menace sismique permanente à laquelle Haïti est exposée. Cette menace est aussi vieille que les lignes de faille qui traversent le pays, et restera présente aussi longtemps que celles-ci continueront d'exister, c'est-à-dire des millions d'années encore.
Cette composante de l'équation du risque, due à la lente mais inexorable dérive des plaques tectoniques, est non négociable. Son autre composante est par contre négociable : l'exposition de la population et sa vulnérabilité, qui relèvent de la responsabilité des gouvernements, des collectivités locales et des individus. L'expérience et la recherche fournissent un large éventail de solutions. Celles-ci impliquent de manière générale la planification adéquate de l'aménagement du territoire, l'utilisation de codes de construction appropriés, et la sensibilisation du public et des autorités à travers l'éducation et la recherche. Mais avant tout, l'application efficace et durable de ces stratégies nécessite une assise forte en science et ingénierie dans le pays, afin que les Haïtiens eux-mêmes puissent entreprendre les travaux nécessaires pour mieux comprendre la menace sismique et concevoir des solutions adaptées à leur économie et leur société.
Des représentants de nombreuses nations se sont rassemblés le 31 mars à New York lors de la conférence des bailleurs de fonds pour aider Haïti dans la transition de l'effort de secours d'urgence vers une phase plus durable de relèvement et de reconstruction. La liste des besoins est vaste et quasiment sans précédent dans les annales de la restauration post catastrophe naturelle. De plus, la reconstruction commence alors que la crise humanitaire persiste, avec des besoins urgents encore loin d'être satisfaits tel le relogement des sinistrés. Cependant, pour autant que nous aimerions croire que cette vague de soutien international sera suffisante, la reconstruction ne sera durable que si les contributions en « briques et mortier » sont accompagnées d'un effort coordonné, sur le long terme, pour renforcer les capacités du pays à comprendre et à gérer le risque sismique. Reconstruire sans prendre en compte cette réalité dans toute sa dimension serait une erreur qui, un jour ou l'autre, coûterait encore très cher. La réduction du risque sismique doit donc faire partie intégrante de l'agenda de la reconstruction.
Comment cela peut-il être fait? Le tremblement de terre du 12 janvier a coûté 217 000 vies humaines et déplacé deux millions de personnes. Son coût économique est estimé à 7,8 milliards de dollars US, soit 120% du PIB du pays. L'information scientifique sur le potentiel sismique en Haïti était disponible avant le séisme, mais enfouie dans la littérature technique. Des initiatives étaient en cours pour communiquer et informer sur les tremblements de terre, mais à une échelle trop faible face à l'ampleur du problème. La menace sismique occupait donc une place mineure dans la conscience de la population et des autorités. En outre, les difficultés au jour le jour en Haïti tendent à reléguer au second plan toute discussion concernant une menace, certes inexorable, mais que l'on ne peut prévoir. Au final, les efforts de réduction du risque sismique étaient donc trop faibles et un problème perçu comme théorique et lointain est tragiquement devenu réel et proche.Cette terrible spirale a bien sûr été aggravée par la difficile situation économique d'Haïti ainsi que par les problèmes sociaux et politiques dont le pays souffre de manière récurrente. Cependant, une autre réalité moins apparente mais tout aussi fondamentale a également contribué : les spécialistes haïtiens respectés qui pourraient proposer un programme national de réduction du risque sont rares. De plus, ceux qui assument ce rôle n'ont pas les moyens de collecter ni d'analyser les données qui appuieraient leur argumentaire. Le Chili, récemment frappé par un tremblement de terre de magnitude 8.8 causant moins de 1 000 morts, a certains des meilleurs sismologues de la planète et est équipé d'instruments modernes de surveillance sismique. Alors qu'Haïti n'a pas de sismologue, pas de capacités de surveillance sismique, pas de programme de recherche sur la menace sismique et aucun programme sur les risques géologiques dans ses écoles et universités.
Etant donné l'éventualité connue de séismes futurs, dans la région de Port-au-Prince comme dans le reste du pays, cette situation doit changer.
De toute évidence, « mieux construire » doit être une priorité de la phase de relèvement et de reconstruction. Mais cela ne suffit pas : engager Haïti sur le chemin de la sécurité sismique est incontournable. Cela requiert un investissement à long terme pour minimiser l'impact des séismes sur les populations et l'économie. Une nouvelle classe de travailleurs formés et de spécialistes doit émerger pour tirer le pays, le peuple et les institutions vers la mise en oeuvre de normes et procédures de sécurité sismique - et plus généralement vers une nouvelle culture de la résilience. Cet effort doit être la propriété d'Haïti et de ses institutions ; il doit donc être construit de l'intérieur. Il doit utiliser les structures institutionnelles existantes, il doit être multisectoriel et interagir avec le secteur privé. Il doit bénéficier de l'assistance de la communauté scientifique et technique étrangère, en particulier au travers de collaborations universitaires durables, ainsi que de l'expérience des organisations internationales. Les premières manifestations d'intérêt dans ce sens sont encourageantes, mais cette assistance doit s'opérer dans un cadre coordonné et régulé afin que les bénéfices en reviennent à Haïti.
Haïti, comme tous les pays construits sur des failles actives, doit posséder un programme national de réduction du risque sismique. Un tel programme, fortement ancré dans la science et l'ingénierie, doit produire des recommandations pour l'aménagement du territoire, les constructions parasismiques et les procédures d'urgence, dans un contexte adapté au pays et qui tienne compte des autres risques naturels. Ce programme doit rassembler l'assistance technique internationale dans un cadre coordonné et optimisé, avec le renforcement des capacités en son centre. Il doit devenir l'instrument institutionnel qu'utilisera Haïti pour orienter sa stratégie d'adaptation à la menace sismique. Ce programme national de réduction du risque sismique doit être partie prenante, dès le départ, de l'effort de reconstruction post 12 janvier 2010. Il ne s'agit pas simplement de reconstruire, mais de reconstruire préparés.
Eric Calais, Université de Purdue, USA1Claude Prépetit, Bureau des Mines et de l'Energie, Haïti1Arthur Lerner-Lam, Observatoire Lamont-Doherty, Université de Columbia, USA1Andrew Morton, Programme des Nations Unies pour l'Environnement2

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