Le Conseil d’Etat vient de rendre publiques ses 3 premières décisions procédant à la transmission au Conseil constitutionnel de questions prioritaires de constitutionnalité sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution, entrée en vigueur le 1er mars 2010.
Comme Combats pour les droits de l’homme l’avait annoncé ici dès le 9 avril 2010 ces 3 premières QPC portent sur:
1°) la “cristallisation” et “décristallisation partielle” des pensions des anciens fonctionnaires civils et militaires des anciens territoires sous souveraineté française.
L’ensemble des dispositions législatives procédant à la cristallisation ou à la décristallisation partielle à l’égard des Algériens sont transmises (article 26 de la loi du 3 août 1981, article 68 de la loi du 30 décembre 2002 et article 100 de la loi du 21 décembre 2006) à l’exception de la première d’entre elles (article 71 de la loi du 26 décembre 1959) qui n’est pas applicable au litige.
Pour les autres dispositions, le Conseil d’Etat relève que “le moyen tiré de ce qu’elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution (…) soulève une question présentant un caractère sérieux ; qu’ainsi, il y a lieu (…) de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée”.
Ces dispositions, dont l’application conduit à ce que certaines des pensions versées aux étrangers concernés sont moins élevées que celles servies aux pensionnés français, sont contestées au regard du principe constitutionnel d’égalité et, s’agissant spécifiquement du IV de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002, du principe de non-rétroactivité et du droit à un recours juridictionnel effectif.
> Conseil d’État, 14 avril 2010, M. et Mme L…, n° 336753
2. Dispositif anti jurisprudence “Perruche”
Est également transmise la question portant sur les dispositions introduites à l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles par le I de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades.
Ces dispositions interdisent de « se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance » et limitent l’engagement de la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé du fait de la naissance d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse aux préjudices des seuls parents et si une « faute caractérisée » peut être identifiée.
Cette réforme visait à faire obstacle à la reconnaissance par le juge de la possibilité d’indemniser non seulement les parents mais aussi l’enfant né handicapé à la suite d’une erreur fautive dans le diagnostic prénatal ayant empêché sa mère d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse (affaire “Perruche”).
En l’espèce, Mme L., agissant en son nom propre et pour le compte de ses enfants mineurs Christelle et Loïc, héritiers de M. Alain L., décédé, s’est pourvue en cassation contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 6 octobre 2008 qui, faisant application des dispositions des premier et troisième alinéas de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles. La CAA avait rejeté sa requête dirigée contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 24 juillet 2007 ayant rejeté leur demande tendant, à raison de l’erreur de diagnostic commise par l’équipe médicale du service de laboratoire de biochimie génétique de l’hôpital Cochin en 1992 sur le risque encouru par Mme L. de transmettre la maladie de la myopathie de Duchenne à un enfant de sexe masculin, à la condamnation de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris à réparer les préjudices ayant résulté de la naissance, le 8 décembre 1995, d’un garçon atteint de la maladie de la myopathie de Duchenne.
C’est à l’occasion de cette instance que Mme L. a demandé que le Conseil constitutionnel soit saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité au regard, notamment, de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui fonde le principe de responsabilité, donc de la réparation d’un dommage causé à autrui.
Là aussi, le CE constate, sans plus d’explications, que ces dispositions n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel et que le moyen tiré de ce qu’elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, “et notamment au principe de responsabilité qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen”, la le moyen “soulève une question présentant un caractère sérieux“.
En outre, ces dispositions ont été rendues applicables rétroactivement aux instances en cours au 5 mars 2002, date d’entrée en vigueur de la loi, et couvrent ainsi des préjudices résultant de fautes commises antérieurement à cette date. La constitutionnalité de cette rétroactivité est également contestée au regard du principe de séparation des pouvoirs et du droit à un recours juridictionnel effectif, qui découle de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le Conseil d’État a estimé, là aussi, que les conditions commandant le renvoi de ces questions au Conseil constitutionnel étaient remplies (”que le moyen tiré de ce qu’elle porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment à la séparation des pouvoirs et au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, soulève une question qui présente un caractère sérieux”).
> Conseil d’État, 14 avril 2010, M. L…, n° 329290
3°) Prérogatives de l’UNAF et des UDAF
Enfin est transmise la QPC portant sur les dispositions du 2° de l’article L. 211-3 du code de l’action sociale et des familles qui font de l’Union nationale des associations familiales et des unions départementales qui lui sont affiliées (respectivement, UNAF et UDAF) les interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics en matière de politique familial.
Selon le communiqué du Conseil d’Etat, une autre association représentant les intérêts des familles conteste ces dispositions législatives au regard de plusieurs principes constitutionnels. Le Conseil d’État a jugé que les conditions imposant le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel étaient réunies, au regard notamment du principe d’égalité.
Le Conseil d’Etat se contente de relever que ces dispositions n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, que le moyen tiré de ce qu’elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution,“et notamment au principe d’égalité, soulève une question présentant un caractère sérieux”.
> Conseil d’État, 14 avril 2010, Union des familles en Europe, n° 323830 ;
Dans l’attente des décisions du Conseil constitutionnel dans les 3 mois, le Conseil d’État a sursis à statuer dans ces trois affaires.
Rappelons que pour qu’une QPC soit transmise, il faut que le justiciable soutienne, à l’occasion d’une instance devant une juridiction de l’ordre administratif ou judiciaire, « qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ».
La QPC peut être soulevée à tous les stades de l’instance, y compris directement devant les juges suprêmes.
Dans une telle hypothèse, la question doit être renvoyée au Conseil constitutionnel si trois conditions cumulatives sont remplies :
- il faut que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure;
- qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans le dispositif ET les motifs d’une décision, sauf changement de circonstances;
- et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
Il faudra donc attendre la publication des conclusions pour mieux cerner ces notions de “question nouvelle” ou de “caractère sérieux” du moyen pour la QPC.
Communiqué: “Le Conseil d’État renvoie les premières questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil constitutionnel”, 14 avril 2010.