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Anti-Cri ?

Publié le 14 avril 2010 par Marc Lenot

Il fut longtemps de bon ton de stigmatiser la Pinacothèque : espace mercantile, salles obscures et basses de plafond, programmation trop commerciale. Et si, en effet, certaines de leurs expositions ne valaient pas tripette (le jeune Pollock, en particulier) et témoignaient d’une volonté d’attirer le chaland avec de grands noms mal représentés, la récente exposition hollandaise était excellente et offrait, en particulier, une proximité avec les tableaux qu’on n’a plus que rarement dans les grands musées; celle sur Soutine m’avait aussi frappé par sa qualité.

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L’exposition Munch (en cours jusqu’au 18 juillet) coupe l’herbe sous le pied à Pompidou, qui programme une exposition sur le même peintre dans dix-huit mois. Quelle profusion d’un coup, alors qu’il n’y avait eu jusqu’ici qu’une exposition très partielle à Orsay en 1991 sur ses séjours en France, et une autre en 1974 au MNAM. Il se dit que les conservateurs de Pompidou auraient fait pression sur le Musée Munch pour qu’il ne prête pas de toile à la Pinacothèque… Il y a la queue, ce peintre méconnu en France attire les foules, cet oublié de l’histoire de l’art française qui n’a cessé de minimiser son influence se voit ainsi au moins découvert, voire reconnu.

Contrairement à ce que vous pourrez lire ailleurs, il y a ici de très beaux tableaux, pas seulement des portraits de circonstance. Beaucoup viennent de collections privées et ont donc rarement été vus dans de précédentes expos (voir ci-dessous mes billets sur diverses expositions de ce peintre dont, vous le voyez, je suis un fan inconditionnel). Certes il n’y a pas de Cri : Munch méprisait l’idée du tableau unique, auratique, et a constamment fait et refait ses tableaux, il y a donc quatre Cris, similaires mais différents, deux pastels et deux toiles, mais aucun n’est ici. Est-ce pour autant une exposition anti-Cri ? Non point, si ce n’est qu’elle permet de découvrir d’autres oeuvres, d’autres facettes, d’autres médiums (et en particulier ses xylographies, remarquables).

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L’accent est mis ici sur la rupture révolutionnaire de Munch avec la peinture de son temps, sur ses expérimentations continuelles, sur son intervention, alors originale, sur la matière même du tableau, rayée, griffée, soumise à un ‘traitement de cheval’. Munch peint la nature humaine, seule, tragique, essentielle, plutôt que le monde, que la société. Il n’est guère à l’aise, pour peindre, dans le Sud, à Nice, en Italie : c’est la lumière du Nord qui lui convient, et les complexités de l’âme sous ces latitudes. Le dessin ci-contre, Souvenir d’enfance, évoque la mort de sa mère quand il avait cinq ans, premier d’une longue série de deuils.

Ses obsessions érotiques, son attirance répulsive pour la femme fatale surgit dans la plupart de ses portraits féminins; en haut, Madonna est cernée de spermatozoïdes et accompagnée d’un foetus. On peut regretter que la rupture de 1908/1909, après son séjour en clinique psychiatrique, ne soit pas mise en avant ici, avec l’apaisement qui survient alors dans sa vie, et dans sa peinture. A l’approche de la mort, le tragique réapparaît et ses autoportraits des années 40 sont à nouveau empreints d’une gravité sombre, mais alors plus sereine.

Outre la profusion de gravures, un des points très positifs de cette exposition est l’analyse de l’influence de la photographie et du cinéma sur l’oeuvre de Munch, sujet assez peu étudié jusqu’ici. Ma grande satisfaction ici est de voir qu’il n’est pas nécessaire d’aligner des chefs d’oeuvre ‘blockbusters’ pour faire une excellente exposition, traduisant fort bien l’esprit d’un peintre par un choix pointu d’oeuvres moins connues, en fonction des prêts consentis. Pompidou aura fort à faire pour faire mieux : pas plus, pas plus grand, plus fort, mais mieux.

Billets précédents sur Edvard Munch:
- Exposition de ses autoportraits à Londres en 2005;
- Jean Clair accusant Munch de sympathie pour les nazis !
- Vente chez Sotheby (et là) en 2006;
- Exposition à la Fondation Beyeler en 2007;
- et je n’avais pas écrit sur son exposition à New York au MOMA en 2006.

L’ADAGP n’autorise que deux reproductions; elles seront ôtées du blog à la fin de l’exposition.


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