Il est de notoriété publique que nombre de médecins conventionnés par l’assurance maladie exerçant en secteur hospitalier sélectionnent leur clientèle depuis belle lurette au travers des consultations privées qu’ils accordent à quelques heureux élus suffisamment riches ou bien assurés pour pouvoir payer des honoraires cinq ou dix fois plus élevés que le tarif de la Sécurité sociale. Ces consultations privées ne sont rien d’autre que des coupe-files permettant aux privilégiés qui en bénéficient d’approcher des sommités médicales inaccessibles au commun des mortels dans des délais et des conditions de confort qui feraient rêver nombre de milliardaires vivant dans l’ultralibéral système de santé américain.
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Les prestigieux professeurs de médecine qui s’offusquent en public de la moindre remise en question du principe «à chacun selon ses besoins et non selon ses moyens» sont les mêmes qui ne sont pas gênés d’accorder, à l’hôpital public, des rendez-vous à une semaine à ceux qui acceptent de payer la consultation 200 euros alors qu’ils font patienter un an ceux, souvent bien plus malades, qui ont la prétention absurde de vouloir être soignés gratuitement.
Qu’est en réalité l’exercice privé à l’hôpital, sinon un détournement du service public par les médecins qui s’y adonnent à des fins d’enrichissement personnel ? C’est-à-dire un délit qui relève de la correctionnelle. Le fait qu’il soit autorisé n’y change rien, et ce d’autant que les règles de déontologie censées accompagner cette autorisation ne sont jamais respectées. Il suffit d’appeler la secrétaire d’un grand patron à l’hôpital, de lui demander un rendez-vous, de l’entendre vous répondre le sempiternel « vous n’y pensez pas, le professeur est surbooké, il n’y a rien avant des mois » avant de vous proposer un créneau dans la semaine une fois que vous avez précisé que vous faites partie de sa clientèle privée, pour mesurer le cynisme et l’absence de vergogne de vos interlocuteurs.
L’inégalité fondamentale d’accès aux soins que créent ces pratiques est de toutes la plus choquante et la plus inadmissible. Les médecins du secteur 2 sélectionnent leur patientèle mais ils ont un exercice privé et c’est donc leur droit. L’Hôpital américain de Neuilly n’a jamais caché que les critères financiers étaient une condition d’accès à l’établissement, mais il est entièrement privé et de surcroît non conventionné. L’hôpital public, qui est financé par l’assurance maladie et dont la vocation est de préserver l’égalité d’accès aux soins, ne peut absolument pas s’inscrire dans cette logique. En privatisant de fait ses prestations les plus sophistiquées, il perd son âme et sa légitimité. La priorité absolue est donc de bannir toute pratique privée, à caractère lucratif, de son sein et de rétablir des frontières claires et sans ambiguïté entre un service public égalitaire, financé par la collectivité et censé prendre en charge chacun en fonction de ses besoins, et un secteur concurrentiel régulé selon une logique économique pure.
Les défenseurs du statu quo rétorqueront qu’une approche aussi radicale entraînerait la fuite des meilleurs médecins hospitaliers vers le secteur privé ou à l’étranger et constituerait une forme d’arrêt de mort pour la médecine d’excellence en France. Ils ont tort. L’objectif n’est pas de casser le système de santé pour se faire plaisir mais de le moraliser et de le réconcilier avec les valeurs de la République. La suppression de l’exercice privé est possible si elle s’inscrit dans une réforme profonde de l’hôpital public. L’organisation actuelle date pour l’essentiel de 1958 et elle est totalement obsolète. Il faudra remettre à plat le statut de médecin hospitalier et le rendre plus attractif, y compris sur le plan financier, pour continuer à attirer les meilleurs praticiens. Pour cela, il faudra dégager des moyens importants, c’est-à-dire, en univers de ressources rares, faire des économies sur d’autres postes et donc tailler dans l’énorme bureaucratie hospitalière. C’est difficile et ça demande du courage, mais ce n’est pas impossible !