Non, je vous rassure tout de suite : ce n’est pas Frédéric Lefebvre… Même s’il en est grand dispensateur, il n’est hélas ! pas le seul à proférer de si belles conneries. Il s’en faudrait de beaucoup. Le pire en la matière étant sans nul doute qu’elle est l’œuvre d’un prétendu “économiste” !
Par le plus grand des hasards j’avais conservé l’article dans sa version papier, sans doute parce que j’augurais qu’il serait contredit par les faits et me servirait. J’en ai retrouvé un autre d’Alain Faujas, écrit trois semaines plus tard et qui est à peu près aussi prémonitoire de la chronique du désastre qui ne devait pas arriver… Ciel ! Où est donc passée ma boule de cristal ?
Or donc, le 2 janvier 2008 Claire Gatinois a recueilli les propos d’un très certainement éminent économiste – David Naudé de la Deutsche Bank – qui estimait que les Etats-Unis échapperaient à la récession ! et vaticinait ainsi : «Il n’y aura pas de krach en 2008»… Le sur-titre de l’article est une perle en soi : «Même si la crise a plongé les Bourses mondiales dans une situation instable, l’économie reste robuste»…
Lors même qu’il reconnaissait dans l’article que la situation était grave, que le pire était possible dont la déconfiture d’une grande banque américaine… «La sphère financière est touchée mais le reste de l’économie tient. La croissance est restée robuste aux Etats-Unis. En Europe les chiffres ont été étonnants. En outre, les entreprises sont encore en bonne santé, peu endettées et profitables»… Comment être aveugle à ce point ?
Toujours dans Le Monde et trois semaines plus tard, Alain Faujas devait faire montre d’un aussi incroyable, indécrottable et inoxydable optimisme dans un article du 18 janvier 2008 L’économie mondiale devrait faire preuve de résistance en 2008 où il s’appuyait sur l’analyse d’un brillantissime économiste – François Bourguignon, directeur de l’Ecole d’économie de Paris ! combien d’aveugles abrutis a-t-il formés à son image ? – qui ne craignait pas d’affirmer que «des amortisseurs puissants sont en place, comme “les réserves considérables accumulées par les pays asiatiques et par les pays pétroliers”. Moins d’épargne en Asie et plus d’épargne aux Etats-Unis, on est donc très loin d’une crise planétaire mais plutôt dans une phase d’ajustement absolument nécessaire, compte tenu des formidables déséquilibres que nous avions accumulés durant les cinq belles années que l’économie mondiale vient de connaître»… Fermez le ban !
La péroraison d’Alain Faujas n’est pas moins stupéfiante d’aveuglement aussi asinien que psittaciste… Citant Luca Silipo, responsable du département d’économie de Natixis – filiale commune de la Caisse d’Epargne et des Banques populaires dont on a pu mesurer la rigueur de gestion ! une colossale perte de 948 millions d’euros au 1er semestre 2008, c’est à dire avant même le krach du 21 septembre 2008… En deux jours, Natixis avait alors perdu 28,4 % de sa valeur notamment à cause des 109 millions d’euros de titres Lehman Brother, banque d’affaire périe dans la tourmente, qu’elle détenait selon un article de Libération Les banques françaises secouées – selon lequel la résistance de l’économie mondiale serait due au… commerce international !
«Les échanges internationaux ne connaissent plus de cycles, de hauts et de bas, comme autrefois, parce que l’organisation de la production mondiale a changé sous l’effet de la mondialisation. La division internationale du travail, qui résulte de la spécialisation des pays dans les domaines où ils sont les plus performants, est devenue une réalité (…) Tout le monde a désormais besoin de tout le monde, aucun pays ne produit tout seul un bien, comme l’a prouvé un auteur japonais qui a calculé que la fabrication d’un disque dur d’ordinateur requiert les contributions physiques ou immatérielles de vingt-cinq pays».
Et Alain Faujas de conclure brillamment : «Ce n’est donc pas seulement la solide bonne santé des pays émergents, Chine et Inde en tête, qui compenserait le plus efficacement les effets récessifs d’une économie américaine malade, mais l’organisation et la solidarité commerciale imposées par la mondialisation».
Qu’il me soit permis de tomber sur le cul ou de me le taper par terre. Je n’aurais pas l’outrecuidance de me prétendre économiste. Quand bien même aurais-je fait mon miel des cours d’économie que j’ai pu suivre, tant à Bouffémont qu’ensuite en fac de droit. Et surtout beaucoup lu et sans doute un peu retenu.
Sauter à pieds joints dans les thèses des économistes critiques ne me semble pas une preuve d’intelligence si l’on a pas déjà une certaine connaissance minimum du sujet. Pour se permettre de critiquer, il faut en effet en passer par les bases, les grandes théories classiques, qu’elles fussent keynésienne, marxiste, monétariste ou utilitariste. Comme pour bien d’autres matières, je n’hésite jamais à me replonger dans un ouvrage quand me prend l’envie d’écrire sur tel ou tel sujet. Peur d’écrire une connerie.
Sans doute certains de mes habituels détracteurs pensent-ils que je suis nulle et quasi ignare en ce domaine par le simple fait que je ne souscris pas à leur dithyrambique appréciation de l’ultralibéralisme. Mais qu’ils se rassurent et passent même leur chemin sans y déposer leurs habituelles petites crottes : cela me fait autant d’effet qu’un “aca d’iau” sur les plumes d’un canard… déchaîné !
Comment oser dire que l’économie ne connaîtrait plus de cycles ? C’est à peu près aussi stupide que de prédire comme Francis Fukuyama «La fin de l’histoire», quand bien même s’appuierait-t-il sur Hegel. En ce sens qu’il prédit comme le philosophe que l’histoire s’achèvera le jour où un consensus universel mettra fin aux conflits idéologiques. Selon Fukuyama, qui n’a pas hésité à présenter la mondialisation comme un gigantesque train de marchandises ! la progression de l’histoire humaine – uniquement envisagée comme un combat entre des idéologies – toucherait à sa fin avec le consensus sur la démocratie libérale qui deviendrait quasi universel.
Hegel fut sans doute critiqué à cet égard par Marx précisément parce qu’il mettait trop les idées et même Dieu au centre de sa démonstration mais – je le dis carrément comme je le pense – sa conception de la dialectique ne valait guère mieux.
J’ai toujours en effet pensé que son stade ultime et quasi paradisiaque – les contradictions économiques réglées une fois pour toutes – offensait le principe même de la dialectique (pour faire court, la thèse et l’antithèse progressant vers la synthèse) car je n’ai jamais admis l’idée qu’en tel mouvement pût connaître un jour une fin : de nouvelles contradictions me semblant devoir naître à l’infini.
La thèse de Hegel, sans même parler de Fukuyama - son long train de la mondialisation a déjà déraillé et risque désormais de se coucher défintivement sur la voie… de garage - procède de l’idéologie. Rarement un système économique n’aura été porteur d’autant d’insoutenables contradictions et la lutte des classes que l’on disait dépassée reprendre autant de vigueur. Les offensives du Medef en disent assez long sur ce chapitre.
Non seulement les cycles économiques n’ont pas cessé avec la mondialisation mais depuis le krach de 1987, le rythme des crises économiques n’a cessé de s’accélérer. La dernière en date, si je n’oublie pas quelques éternuements, remonte à l’éclatement en plein vol de la bulle de la «nouvelle économie» en 2000-2001.
Encore une fois, les économistes n’avaient rien vu venir, l’œil rivé sur ses performances et dont toute la batterie de modèles mathématiques n’est nullement faite pour anticiper autre chose que la poursuite sur son erre du mouvement - haussier ou baissier – de l’époque qu’ils étudient, lors même que tous les indicateurs annonciateurs d’un retournement de tendance, à la libre disposition de tous les observateurs quelque peu attentifs viraient au rouge de plus en plus vif…
Quant au remède : l’interpénétration et l’imbrication croissante des économies de tous les pays, qu’il me soit permis de rire à gorge déployée devant autant de crétinisme économique.
C’est en effet précisément parce que la finance internationale ultra-mondialisée – en même temps que totalement dérégulée et sans plus aucun lien organique avec «l’économie réelle» - a essaimé comme une pandémie les morgate subprimes titrisés et autres actifs non moins «toxiques» que le choc du krach boursier du 11 septembre 2008 s’est répercuté quasi instantanément d’un bout à l’autre de la planète comme une tornade à l’échelle mondiale. Générant une triple crise, financière, économique et sociale d’une ampleur jamais atteinte, même en 1929.
Je pense qu’il faut au moins autant de connards pour mettre au point ces instruments financiers contre lesquels Ibrahim Varde nous mettait en garde dès juillet 1994 dans le Monde diplomatique : Un capitalisme hors de contrôle La dérive des nouveaux produits financiers qu’il faut d’ingénieurs et autres techniciens pour concevoir et fabriquer un disque dur d’ordinateur. Mais ces derniers sont utiles à l’économie réelle alors que les autres lui chient carrément dessus. Que l’on ne m’en veuille pas de ne pas vouloir ramasser leurs crottes !
Comme la planète Finance, de même que nos gouvernants, n’ont visiblement pas tiré les leçons du krach – malgré leurs palinodies : plus jamais ça – les mêmes causes produiront nécessairement les mêmes effets.
Les banques continuent à produire du vent, des profits magnifiques à très court terme, à rétribuer chèrement leurs traders qui spéculent à tout va, les Chinois à acheter tout et partout, etc.. faisant revenir l’inflation sur les matières premières.
La prochaine explosion, implosion ou tsunami, comme l’on veut, sera sans doute la bonne car il m’étonnerait que les peuples acceptassent de se serrer la ceinture d’un cran supplémentaire quand ils sauront que les mêmes - déjà responsables de tant de turpitudes – auront continué à jouer au con avec l’argent des con…tribuables, si fort dispensé par les gouvernements.
Du désespoir à la révolte il n’y a qu’un pas. Quand et comment sera-t-il franchi ? Désolée, mais je n’ai toujours pas retrouvé ma boule de cristal…