"Je crie pour vivre pis je sacre pour me faire entendre"
Cet homme au franc-parler légendaire a partagé les bancs d'écoles avec Pierre Eliott Trudeau. Très rapidement il découvre qu'il ne "cadre" pas dans les rangs.
Il décide d'aller chez les moines trapistes où il passera deux ans dans le silence total. MICHEL CHARTRAND...DANS LE SILENCE...
Il passera le reste de sa vie à compenser pour ses deux années.
Suite à la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, il se joint à un programme de formation canadien qui permettait aux étudiants universitaires d'obtenir des crédits de service militaire, tout en continuant leurs études et sans avoir l'obligation de participer en service actif sur le front. Chartrand se plaint que les documents de l'armée canadienne soient uniquement rédigés en anglais.
Suite à la décision du gouvernement canadien de faire un plébiscite sur la conscription obligatoire, Michel Chartrand en devient un fervent opposant et milite au Bloc populaire canadien, un mouvement qui s'oppose à la conscription.
En 1942 il épouse Simonne Monet, la sainte. Elle lui donnera 7 enfants.
Lorsque son père est renvoyé de son poste au gouvernement après 44 ans de services, Chartrand est outré par les élites qui l'on slacké. En 1949, Asbestos change sa vie.
La grève d'Asbestos, des mineurs locaux est un évènement qui s'inscrit dans la période de l'histoire du Québec que l'on a nommée la grande noirceur. Cette période marque un début de la syndicalisation au Québec pour contrer les politiques autoritaires, conservatrices, hautement patronales ainsi que la répression pratiquée par le régime de l'Union nationale de Maurice Duplessis, alors au pouvoir. En s'adressant à un policier qui l'avait dans sa mire de fusil, il lui dit "Arrête de 'shaker' tu vas me manquer, crisse".
En parlant de Trudeau et des gens de l'establishment il dira "ses gens sont devenus honorables, moi je suis devenu honnête"
Libre penseur, toujours rangé du côté du peuple, il ébranle les colonnes du temple de l'establishment à maintes reprises.
En 1950 il devient actif au sein de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada, qui deviendra la CSN en 1960. En 1956 il se joint au CCF, qui deviendra plus tard le Nouveau Parti démocratique, un parti social-démocrate fédéral, dont la chef québécoise est Thérèse Casgrain. Son travail syndical l'a placé en tête d'affiche de plusieurs importantes interventions, lors de grèves hautement médiatisées.
Chartrand tente sa chance trois fois en politique mais mange une volée aux élections chaque fois.
En 1960, la Confédération des travailleurs catholiques du Canada, devient la Confédération des syndicats nationaux la CSN. Chartrand prend part à de nombreuses manifestations organisées par le mouvement pour la paix, ainsi que des démonstrations contre le nucléaire. Il est un admirateur de la révolution communiste à Cuba, et de son instigateur Fidel Castro. Il accompagne d'ailleurs un groupe pour une visite de un mois à Cuba en 1963. À son retour il parle de Cuba comme d'un paradis et que cet État devrait être un exemple pour un Québec en devenir. Chartrand participe à la fondation du Parti socialiste du Québec. Il supporte également les mouvements pour la souveraineté du Québec et le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN). Les idéaux socialistes de Chartrand l'ont amené à apporter son support aux Viet Cong lors de la guerre du Viêt-Nam. Cependant, en étant un croyant catholique, Chartrand ne s'identifiera jamais au communisme, préférant le socialisme ou le socialisme chrétien.
En 1968, Chartrand est élu à la présidence du Conseil central des syndicats nationaux de Montréal (affiliés à la CSN) un poste qu'il conserve jusqu'en 1978. Vers la fin des années 1960, en tant que membre du mouvement souverainiste du Québec, il soutient le Front de Libération du Québec (FLQ), en déclarant : « Nous allons gagner parce qu'il y a plus de gars prêts à tirer sur les membres du parlement, qu'il n'y a de policiers ».
En 1970, la Crise d'octobre éclate, et Chartrand est arrêté en vertu de la Loi des mesures de guerre. Il est libéré quatre mois plus tard. Un journaliste lui demande alors s'il a de la sympathie pour la famille du diplomate britannique James Richard Cross enlevé par le FLQ.
Trop excessif pour les uns, trop colérique pour les autres, il agit comme une bombe dans toutes les tribunes. Il est un symbole pour tout un peuple qui refuse de "fermer sa yeule".
Son fils Alain Chartrand réalise une série télé racontant sa vie en 1999 dans lequel j'ai tenu un rôle aux côtés de Rémi-Pierre Paquin. Lors du tournage d'une scène de discours public, tout le monde s'est soudainement senti envahi par une lumière. Avec Luc Picard sur scène qui levait soudainement les yeux à l'étage du gymnase où nous y étions tous rassemblés. Michel Chartrand s'était glissé sur une banquette et nous regardais tous. L'éveilleur de conscience surplombant ses enfants. Nous nous sommes tous spontanément mis à applaudir. Luc Picard, qui le jouait, avait envoyé des mains un baiser à l'homme qui devait l'inspirer.
Il est de toutes les tribunes. Il fonde le FATA, la Fondation pour l'aide aux travailleuses et aux travailleurs accidentés.
Dans les années 80 l'une de leur fille meurt d'une manière horrible. Vivant un retour à la terre avec son amoureux elle lui dit un matin à la blague "J'ai tellement mal à la tête tu devrais me tirer une balle", l'amoureux s'exécute à la blague...mais le coup part. Le couple Monnet-Chartrand est dévasté. Le maladroit deviendra fou.
Chartrand continu de se poser comme la voix de la contestation. Chartrand et sa femme Simone ont payé de leur personne leur engagement, eux qui avaient choisi leur clan. Simone meurt, atteinte de cancer généralisé en 1993.
Ce géant qui maniait à la fois le verbe et l'émotion laissait toujours une vive impression.
Une de ses dernières présences à la télévision est mémorable (mais introuvable sur le web). En direct avec Bernard Derome le soir des élections il lui balance "Moi le human interest, ça me fait chier!" alors que Derome voulait lui souhaiter joyeux anniversaire.
Certains de ses propos sont encore tout à fait d'actualité.
"Les gouvernements vont nous parler de déficit. C'est une maudite farce. Avant, ils parlaient de l'inflation. Je n'ai jamais vu personne mourir d'inflation, mais j'en ai vu mourir dans les hôpitaux. Maintenant, ils nous disent qu'on va mourir du déficit."
C'est un grand batailleur, une magnifique tête dure qui s'est éteinte hier par le cancer. Un homme complètement allergique à l'injustice.
Le paysage politique et historique québécois vient de perdre une de ses plus vives couleurs.
Adieu M. Chartrand.