Cela faisait un bail que je n’avais pas réalisé une petite excursion au Japon. Aussi, ai-je fait un tour sur le blog Le Japon contemporain. Je suis tombé sur cet ouvrage et plus particulièrement sur cet auteur qui mit fin à ses jours en se jetant sous un train en 1951.
Tamiki Hara naquit au début du siècle dernier à Hiroshima. Porté sur les lettres, il se fit remarquer dans l’entre-deux-guerres à Tokyo. Suite à la disparition de sa femme en 1944, il rentra à Hiroshima, de retour dans la grande concession familiale, au courant de l’année suivante. Le 6 Août 1945, cet écrivain fut à Hiroshima quand la bombe atomique fut larguée.
J’eus la vie sauve parce que j’étais aux cabinets. Ce matin du 6 août, je m’étais levé vers huit heures. La veille au soir il y avait eu deux alertes aériennes mais rien ne s’était passé. Un peu avant l’aube je m’étais déshabillé et, chose que je n’avais pas faite depuis longtemps, je m’étais couché en kimono de nuit. Je me levais et entrai dans les cabinets sans répondre à ma sœur qui, en me voyant encore en caleçon, grommela que je me levai bien tard.
Quelques secondes plus tard, je ne sais plus exactement, il y eut un grand coup au-dessus de moi et un voile noir tomba devant mes yeux. Instinctivement je me mis à hurler et, prenant ma tête entre mes mains, je me levai. Je n’y voyais plus rien et n’avais conscience que du bruit : c’était comme si quelque chose telle une tornade s’était abattu sur nous. J’ouvris à tâtons la porte des cabinets et trouvai la véranda(…). Cependant en avançant sur la véranda, les maisons détruites commençaient peu à peu à m’apparaître dans une vague luminosité. Je repris mes esprits.
Fleurs d’été, page 70, Actes Sud – Collection Babel
Hiroshima, fleurs d’été est un recueil de trois récits de Tamiki Hara.« Préludes à la destruction », publié en 1949.« Fleurs d’été », publié en 1947.« Ruines », publié en 1947.
C’est sur la chronologie réelle des faits que sont ordonnés les différents récits de l’écrivain japonais.Dans « Préludes à la destruction », il revient sur le retour d’un jeune homme au sein de son fief familial à Hiroshima. L’homme vient d’une autre grande ville nipponne. Il est porté sur les lettres. Et naturellement, il observe sa fratrie au sein de laquelle il doit retrouver ses marques. Shôzô est endeuillé. Il a perdu sa femme. Ses frères tiennent un grand entrepôt familial. Si ce premier texte présente les déboires, les fortunes diverses, les relations entre les éléments de cette famille, l’oppression des sirènes et des bombes qui tombent sur Hiroshima est constante. L’ennemi n’est jamais nommé. Seules les stratégies pour survivre ou du moins protéger les proches sont mentionnées.
« Fleurs d’été » est la description de l’impact de la bombe atomique par le témoignage direct de l’auteur. Le phénomène d’abord. La conscience d’avoir survécu. Et le constat progressif de l’ampleur des dégâts. Matériels, mais surtout humains.
Sur l’autre rive, les bâtiments détruits s’étendaient à perte de vue, et, à part les poteaux électriques, le feu avait déjà fait son œuvre. Je m’assis sur l’étroit chemin qui longeait la rivière et songeai que, maintenant au moins, il n’y avait plus de danger. Ce qui depuis longtemps nous effrayait, était bel et bien arrivé. L’esprit plus tranquille, je me dis que j’avais survécu. J’avais souvent pensé avoir autant de chance de mourir que de survivre, mais à cet instant-là le fait même de vivre et le sens même de la vie s’imposèrent à mon esprit.
« Je dois laisser tout ça par écrit », me dis-je en moi-même. Pourtant à ce moment-là je ne savais pratiquement rien encore du vrai visage de cette attaque aérienne.
Fleurs d’été, page 77, Actes Sud – Collection Babel
Dans « Ruines », Tamiki Hara poursuit son témoignage. On se demande si les personnages ont un lien entre les différents récits. Cela semble évident. Au-delà de sa famille, c’est cette vision de la population cruellement meurtrie par les effets secondaires de cette bombe. Il n’est pas fait état de radioactivité par l’auteur. Mais comme il est dit plus haut, Hara nous raconte les conséquences de cet acte militaire. On imagine que la connaissance viendra après.
Le dernier texte est sûrement le plus effroyable. Je vous avoue que j’ai pensé en lisant ce dernier récit à l’accord conclut à Prague entre russes et américains pour la réduction de l’arsenal nucléaire. Vaste partie de dupes? Quand on pense qu'après coup chacune puissance gardera plus d'un millier d'ogives nucléaires... De nombreuses questions anachroniques me sont venues à l’esprit. « Etait-ce le seul moyen ? ». « Pourquoi frapper les civils ? ». Le plus terrible est que cela est encore possible. L'auteur se refuse à toute forme d'effusion.
Tamiki Hara n’a pas survécu à ses écrits. Il a sous domination américaine sur le Japon, produit ces textes avant de se suicider. Nous laissant là ce témoignage de la réponse d’une folie à une autre folie.
Tamiki Hara, Hiroshima, Fleurs d'été
3 récits traduits dans l'ordre énoncé plus haut respectivement par Rose Marie Makino-Fayolle, Brigitte Allioux et Karine Chesneau
Actes Sud, collection Babel, parution en 2007
Source Photo Tamiki Hara - So-net
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