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Cliché I. Rambaud, Le jardin de la maison Mallarmé à Valvins (77)
Parodiant le titre du livre d'Hector Bianciotti, "L'Amour n'est pas aimé", Charles Dantzig utilise la formule "L'esprit n'est pas aimé" dans un article consacré aux monuments français (100 monuments, 100 écrivains, 2008, p. 470). Il en voit la preuve dans le fait qu' "en France la postérité ne tient qu'appuyée sur la gaudriole. Que Victor Hugo ait fait l'amour jusqu'à quatre-vingts ans fait s'extasier les visiteurs de son appartement place des Vosges et Mallarmé serait plus populaire si, à Valvins, on montrait la chambre d'une maîtresse à côté de la chambre conjugale".Il y a du vrai dans ce trait d'esprit, de la rapidité, donc aussi de l'injustice et de la fausseté.On entend certes tous les commentaires, plus ou moins appropriés, de nos voisins de groupe lors de visites monumentales : la longueur du lit, la sobriété de la cuisine, la richesse de la bibliothèque, c'est aussi lourd que la gaudriole critiquée par Dantzig. L'esprit des lieux doit frémir tous les jours.Les anecdotes sur la vie privée n'apportent pas non plus grand chose à la littérature mais peut-on les empêcher ? Les visiteurs d'une certaine façon s'approprient aussi le grand homme, à leur mesure à eux (bien petite parfois). De là à penser que "Mallarmé serait plus populaire si etc...", je ne le crois pas. Ce qui rend Hugo si populaire, ce ne sont pas ses galipettes, c'est son oeuvre : romans, Les Misérables, Notre-Dame de Paris, théâtre, Ruy Blas, Hernani etc..., ses poèmes qu'on apprenait autrefois à l'école, sa vie de rebelle et d'exilé victime de Napoléon III, son engagement contre la peine de mort, etc...Inventer une double vie à Mallarmé ne changera rien. Même avec Méry Laurent, il reste l'homme d'une seule oeuvre : son écriture, difficile et exigeante. Il ne sera jamais "populaire".Opposer Hugo "aimé des masses" à Mallarmé "aimé d'une élite" est vexatoire à plus d'un titre pour les lecteurs potentiels. On peut aimer l'un et apprécier l'autre, lire les deux et ne se sentir ni décadent en aimant un auteur populaire, ni supérieur en goûtant un écrivain à la pointe du style. Ils ne sont pas du même "genre" et l'on ne peut dénier à l'un "l'esprit" qu'on attribuerait exclusivement à l'autre. Sauf à définir des genres d'esprit différents.Les visiteurs qui se promènent dans le beau jardin de Valvins en sont la preuve. Ils y retrouvent le poète chez lui, en famille, avec ses amis dont ils sont soudain et cette intimité leur fait approcher la poésie incarnée :
"...Voilà pourquoi les fleurs profondes de la terre L'aiment avec silence et savoir et mystère, Tandis que dans leur coeur songe le pur pollen..." (Mallarmé, Dans le jardin)
Mais si, l'esprit peut être aimé !Merci pour votre lecture ! Thank you for reading !