VARIATIONS SONORES URBAINES
AUTOUR D' UNE
SIRENE
Chaque premier mercredi du mois, à 12 heures précises, dans la plupart des villes, retentit durant quelques
minutes une sirène, donnant de la voix sur le toit d'une mairie, ou d'un autre bâtiment du centre ville. Essai, pour vérifier que la protection civile dispose d'un outil d'alerte efficace et en
bon ordre de marche, cette stridulence fait partie intégrante du paysage sonore urbain, sur lequel elle impose ponctuellement sa marque hululante.
Bien sûr, au-dela de ce constat, il n'y a a priori rien d'artistique dans ce déchaînement sonore, ce long glissendo qui fascine toujours par sa lente montée en puissance, puis par sa chute en
miroir decrescendo, sinon un seul signal d'alarme secouant temporairement la ville de sa torpeur, et rappelant si besoin était le jour et l'heure aux auditeurs présents dans la cité. En fait cet
objet sonnant est symboliquement chargé de sens, de mémoire, de souvenirs parfois tragiques, d'inquiétudes et de peurs réveillées par ce flot sonore imposant. Une fois la sirène tue,
l'environnement sonore quotidien reprend ses droits, les oiseaux peuvent piailler de plus bel, les automobiles ronronner et klaxonner à l'envie, et l'oreille se ressaisir du pouvoir de
discriminer, ou en tout cas de tenter de le faire, quelques sources tout ce fatras sonore qui submergent nombre de grands centres ville, à midi.
Mais pourquoi donc vous parlerais-je de cet épiphénomène sonore si , dans une ville en particulier, ce rituel auriculaire ne donnait lieu mensuellement à un prolongement dans l'espace
public de cette sonnerie, comme une résonance qui déclinerait ou élargirait, voire improviserait autour de ce signal urbain.
Cette ville c'est Marseille. L'action, artistique cette fois-ci, dont je vous parlerai s'appelle Sirènes et midi nets, et le protagoniste de cette épopée homérique est Pierre Sauvageot.
Pierre Sauvageot, directeur du Centre National de création des Arts de la rue "Lieux Publics" n'en est pas a son coup d'essai en matière d'interventions et de chamboulements urbains. Tout jeune musicien il s'est investit au sein de fanfares de rue, avant de se diriger très vite vers le théâtre, et notamment en explorant les champs de la création sonore et musical dans l'espace public. Dès les années 80, il fonde la compagnie d'art de la rue "Décor Sonore" avec Michel Risse, avec lequel il partagera durant 10 ans de belles expériences d'orchestres bruitistes urbains, de collaborations toutes plus sonores les une que les autres avec entre autres les compagnies Oposito et Metalo Voice.
Marteaux piqueurs, concerts de klaxons, concerts de public, autant de mises en chantier de l'espace urbain par
des sons, des bruits, des voix d'habitants, des moteurs et autres sonorités surprenantes....
Pierre Sauvageot ayant quitté Décor Sonore, qui continue sa route sous la houlette de Michel Risse, il va continuer à travailler de son
côté sur de grandes mises en sons urbaines, des opéras gigantesques s'installant sur des places
de centre villes et qui narrent justement et entre autres l'histoire de l'Odyssée.
Ce qui nous ramène naturellement à ces Sirènes et midi net que Pierre Sauvageot a impulsé depuis 2003, dans le cadre des projets de Lieux publics.
Lieux public, centre de création, est un espace de recherche, de résidences pour des compagnies de théâtre de rue, quinterroge, comme il semble normal de le faire pour ce genre de structures, sur
les problématiques de la création artistique dans l'espace public, et plus particulièrement dans l'espace public urbain. Repérages, témoignages, collectages, ville rêvée, animée, transformée,
réseau social, rréférences historiques... Comment vivre et comment se réaproprier sa ville, la regarder, l'entendre, sous le regard et l'écoute d'artistes de rue ? Vaste et passionnant
programme qui développe un creuset de recherches aujourd'hui très actives dans différents milieux culturels et artistiques, universités, et politiques de la ville. Marseille, ville cosmopolite,
tournée vers la Méditerannée, constituant bien entendu un terrain d'expérimentation idéal pour ce grand chantier urbain, et quil e sera plus encore, en tout cas souhaitons le en 2013, année où
elle sera consacrée capitale culturelle Européenne.
Après ce rapide tour d'horizon des acteurs et structures, avec leurs centres d'intérêt, revenons en à nos Sirènes et midi net. Les règles du
jeu en sont assez simples. Depuis 7 ans, chaque premir mercredi du mois, Pierre Sauvageot fait appel à un artiste, ou a un collectif, pour répondre à l'écho de la sirène de marseillaise, sur le
parvis de l'opéra.
Il lui donne ainsi carte blanche pour créer sa propre partition artistique
urbaine.
Au départ, les projets étaient essentiellement sonores et musicaux. Fanfares, installations, chœurs, groupes bruitistes, sound systems ont ainsi rapidement répondu à l'appel de Lieux Publics.
Puis, au fil des années, les propositions se sont élargies, paroles, théâtres, arts plastiques, danse se sont mêlés de la partie, même si beaucoup de propositions restent dans le domaine de
"l'écoutable".
Ces interventions dans l'espace public sont donc à chaque fois créées
pour la circonstance, ou en tout cas réaménagées et repensées, comme des actions qui sont naturellement contextualisées pour un lieu, un moment, des publics, au travers des volontés
artistiques diverses et aux vues de toutes les contraintes liées à l'espace public urbain...
Voici par exemple la première programmation et les notes d'intention artistiques de 2003.
© c-ktre
05 mars 2003
GRIM
6RN 2
Jean-Marc Montera et le GRIM
On ne remarque que son absence, quand on ne l’entend pas elle est encore plus inquiétante que lorsqu’elle se manifeste, elle donne un signe du temps : midi, le premier mercredi du mois.
Conjurer le sort par le son - celui d’une liberté insoupconnée par la machine, issu du plaisir du jeu - instrumentistes de l’air et du peuple des objets sonores qui l’habitent.
Offrande éphémère à entendre ce qui nous est donné chaque jour.
02 avr.
Voix polyphoniques
L'ivresse de Charybde en Scylla
Brigitte Cirla et les Voix polyphoniques
Brigitte Cirla et Vincent Audat : composition et dramaturgie
La sirène, son strident, coupant, tendu vers l’aigu qui convoque une ville entière à se souvenir de la menace, de la guerre, des bombes... Son appel entrainait les foules aux abris et dans les
entrailles de la ville. Le muezzin, mélopée enivrante qui rythme les jours et les nuits de la ville, immobilise le temps et le rêve, convoque ses habitants à l’écoute intérieure, au
recueillement et à la prière. Les sirènes, au sublime chant de mort dont la beauté, entre Charybde et Scylla, précipitaient les marins dans la mer.
Traverser par touches, comme dans un rêve, ces 3 évocations : du bruit à la mélodie, des sons saturés de la guitare à la fragilité d’une voix qui s’élève, retrouver l’émotion portée par les
voix qui chantent ensemble, tuiler les nappes envoûtantes d’un chœur orthodoxe avec les scansions lancinantes des cors accompagnant la prière aux morts de Ravel, entrelacer la beauté de la
prière chantée vers l’infini, le son porteé et caressé par le souffle, avec la pulsion de l’inarticulé, du borborygme, de l’humain en folie.
Tenter une « vanité » qui joue entre la fascination de la mort, la tentation de la prière, et la vénération de l’amour, quand il ne reste que l’ivresse.
© c-ktre
07 mai
GMEM
PsychomuzII
Eryck Abecassis et le GMEM
Compositeur : Eryck Abecassis
Les “sirènes" c’est inquiétant d’abord, il y a comme un frisson qui passe et qui nous réunit, quelque chose qui nous répèterait qu’un malheur va arriver, et d’un coup on se rappel : ah, oui c’est
le premier mercredi... Puis on retourne vaquer, mais si on prend le temps d’écouter voilà ce qu’on peut entendre (entre autres) : une courte attaque de bas en haut, suivie d’une longue tenue
magistrale et haut perchée dans son médium aigu homologué.
Après quelques secondes quelqu’un relâche un bouton et la sirène disparaissait dans un decrescendo interminable, garant sûrement du parfait état mécanique des engins. Ces instants encore habités
peuvent être l’occasion d’un grand délice perceptif. En effet l’écoute se fixe sur le timbre qui en diminuant se raréfie acquérant une sorte de moelleux jouissif qui semble ne jamais vouloir se
terminer, le jeu est alors de suivre le son le plus longtemps possible jusqu’à l’insupportable Pianissimo perturbé par l’ambiance environnante qui reprend le dessus, mais donc la fréquence de
plus en plus basse d’un beau grain sombre vient gratifier l’effort de concentration. Je voudrais réaliser une sorte d'amplification jubilatoire du phénomène.
04 juin
Nadine Estève
Nadine Estève et les archets de Ponticello
[Divertimento pour orchestre à cordes giratoires et sirène de la sécurité civile]
Tocsin contemporain, la sirène d’alerte du mercredi est pourtant intégrée au calendrier urbain. Presque rassurante, confirmation d’un temps de paix, la voilà presque redevenue un mythe.
Est-ce bien raisonnable ?
Nous savons tous que les sirènes tentatrices vivent au bord de la mer. Leur chant est la mélodie de l’au-delà, irrésistible mais fatal. Elles charment tous les mortels qui s’en approchent, leur
nom devient un lieu commun lié à l’envoûtement.
Harmonisant le chant de la sirène du Vieux Port, cordes, bois et crins invitent à prendre le large entre glissements, sifflements et mélodies envoûtantes. Immergeant le public dans un bain de
vibrations, cet orchestre à cordes atypique est composé d’amateurs de musique et de solistes en émergences.
Du vent dans les cordes pour une éclipse de sirènes.
02 juil.
Sirène annulée
> Grève des intermittents
01 oct.
Leda Atomica
Phil Spectrum et Leda Atomica Musique
Auteur-Compositeur : Phil Spectrum
Danseuse : Samara
En queue de poisson est une suite sur l’appel et la séduction de la ville, construite en quatre mouvements. Les Sirènes du rock’n roll résonnent du vrombissement des Harley Davidson, aux échos de
l’Opéra, des filles de joie, à l’appel de l’Orient (et tant pis s’il n’y a pas de fin).
Leda Atomica, punk rock marseillais, débridé, second degré a été crée dans les années 90 par Phil Spectrum et Nick Zaroff. Ils ont assuré les 1ères parties des Cramps, Iggy Pop, Bashung, se sont
produits au Printemps de Bourges, aux Francofolies, et ont travaillé avec Richard Martin. Ils font connaissance, au cours de ces tournées, de leurs partenaires actuels "Générik vapeur, Ilotopie,
Skénée".
05 nov.
A.M.I
Direct sirènes d'usines
Fred Berthet, DJ Rebel, Namor et l'A.M.I.
L'A.M.I /Centre National de Développement pour les Musiques Actuelles confie à ses artistes intervenants Fred Berthet, Rebel et Namor la relecture urbaine et électronique du son
des Sirènes. A cette occasion, et dans le cadre des "Direct-Usine" ils s’entoureront des artistes impliqués tout au long de l’année au sein des ateliers de pratique artistique de l’A.M.I.
L'A.M.I. a pour mission de développer et de pérenniser une plate-forme au service des artistes (plutôt qu’un terminal de consommation) allant du questionnement créateur (ateliers, studios de
répétition, résidences) jusqu’à la diffusion (recherche de nouveaux publics, évolution des concepts de concerts, transversalité socio-économique, etc.).
03 déc.
Mécanique vivante
Polyphonies pour sirènes musicales
Franz Clochard et la cie Mécanique vivante
Franz Clochard : inventeur constructeur
Jean-Marc Montera : compositeur
Depuis sa création, la cie Mécanique Vivante installe dans les villes et les campagnes, ses machines à rêver pour bons vivants gastronomes de plein air et ses dispositifs scéniques musicaux,
depuis l'échelle intime de l'individu jusqu’à celle d'une vallée entière.
Pour révéler le potentiel poétique de notre monde urbanisé, elle cherche à identifier les supports de l’imaginaire et du plaisir sur le site choisi pour fabriquer un moment neuf, un
objet jamais vu, de nouveaux usages...
Inventeur, constructeur, interprète et fondateur de Mécanique Vivante, Franz Clochard a appris à dompter toute une "ménagerie" d'objets plus ou moins nuisibles et envahissants,
transformés pour nous en mélodies, jouets d'enfants, voltiges et images oniriques vivantes, au service d'un espace, de son architecture et de ses habitants.
Chaque nouvelle invention mûrit pendant de nombreuses années, affinant une à une ses formes et ses fonctions à mesure qu’elle rencontre son public.
Objet unique, œuvre complète, paroles et musiques originales, dispositifs inédits... L’activité de la compagnie est constamment centrée sur la création, avec ce que cela suppose
d’expérimentations, de "chantiers de création", de prototypes et d'épreuves d’artistes.
C'est donc à un espace urbain d'écoute à 360° (la formule est me semble t-il de Pierre Sauvageot) que nous convient ces Sirènes et midi net, et le projet est suffisamment original et intéressant
pour que l'on y tende une oreille curieuse et autant que faire se peut citoyenne.
Sirènes et blablabla
© C-Ktre
Sirène et midi net se vit complété d'un rendez-vous radiophonique marseillais.
En effet, chaque premier mercredi du mois à 18h, artistes et amoureux de l’art et de l’urbain échangent à l’invitation de Lieux publics et de Grenouille.
Émission en direct et en public, à savourer autour d’un verre au Longchamp Palace (22 bd Longchamp, Marseille 1er), à écouter sur Grenouille : 88.8 fm ou sur www.grenouille888.org (direct ou podcast)
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