Converser - dans la facilité ? [2/2]

Publié le 13 avril 2010 par Collectifnrv

- Ce sont des approches, ou des éclairages – précieux parfois. Mais, c’est vrai : pas à chaque fois. Prenons quelques films. Pour les spectateurs qui découvrent pour la première fois L’Arche russe, de Sokourov – d’entendre juste après Douchet en parler, ça peut leur donner envie de le revoir une deuxième fois ! Pareil pour Saraband, si on ne connaît pas le film, ni la filmographie de Bergman. Pour ceux qui connaissent déjà, il est possible qu’ils n’apprennent rien ; mais ce n’est pas si sûr non plus ! Pour Hou Hsiao-hsien, avec Three times, c’est un peu différent. Il se peut que même après avoir entendu Douchet en parler, le spectateur n’ait pas envie de le revoir. Mais je dirais que ça viendrait alors plus du film – bien que ce soit un grand film !

- Mais, pour toi, qu’est-ce qu’il apporte en faisant ça – ce ciné-club ? Qu’est-ce qu’il apporte au fond, Douchet, lui qui a vu tant et tant de films, et écrit sur le cinéma ? Parce que moi, ce qu’il fait, ne me satisfait pas : il traite les films par-dessus la jambe, et me laisse toujours sur ma faim.

- Vous savez, c’est une discussion que j’ai souvent : « C’était mieux avant, à Jussieu », « Il se répète », « Il devient gaga »… Tout d’abord, je vais vous dire quelque chose que je dis parfois à quelqu’un de mon entourage, très cultivé, quand je le trouve un peu trop sûr dans ses affirmations. Ma phrase, c’est de lui dire – je le tutoie, mais, vous, je vous vouvoie : « Méfie-toi… de toi ! » Donc pour vous, ça donne : « Méfiez-vous… de vous ! »

- C’est intéressant ce que tu me dis là…

- Merci. Je précise : de votre façon d’aborder les films, le cinéma… et la critique. Ensuite, sur l’apport de Douchet, je dirais que c’est avant tout – et surtout – son amour du cinéma ! C’est aussi simple que cela. Vous savez, et j’y pense juste au moment où on en parle – à l’instant – le titre de l’un de ses livres, c’est : L’Art d’aimer. Et, finalement, il n’a jamais quitté ce programme ! A chaque fois, à chaque film, il ne cherche pas à délivrer sa « compréhension du film », mais, à communiquer, et diffuser cet amour ; sans jamais l’imposer aux autres. Ou, si vous préférez, sans asséner des vérités toutes faites ! Et sans jamais être irrespectueux à l’égard du spectateur ; sauf quand il l’a vraiment cherché ! Ce qui arrive, de temps à autres, hélas…

- Je te remercie de me donner cet élément – qui m’avait échappé…

- Eh, oui ! Il est pourtant essentiel ! Vous parliez de Metz tout à l’heure, et de la théorie. Douchet, il ne cherche pas là, dans le cadre de cet exercice, à « analyser » le film, à le disséquer devant tout le monde, parce que ce serait tuer le film ! Ce serait alors La Poule aux œufs d’or : à force de le disséquer, de voir comment c’est fait à l’intérieur, on tue « la chair » ou « le plaisir » du film ! Mais, j’irais plus loin encore. Regardez, cela fait près de cinquante ans – soixante même ! – qu’il délivre ce même amour. Donc, à de nouvelles générations, et à d’autres cultures ; sans être « dépassé » par son époque. Voyez, moi, j’ai reçu une partie de cet amour ! Il est toujours en phase avec les nouvelles générations. Vous savez, des critiques en phase avec plusieurs générations, je ne suis pas sûr qu’il y en ait beaucoup ; et qui ne soient pas obligés d’être dogmatiques !

- Mais, toi, tu es un inconditionnel !

- Ah, non ! Je suis ce qu’il fait, mais je sais aussi quelles sont ses limites. Vous savez, il nous est arrivé d’échanger des mots au sujet du ciné-club. Ainsi, je lui ai déjà fait part de quelques reproches, dans le privé – qu’il reçoit bien ou mal, d’ailleurs. Bref, je ne suis pas « inconditionnel », comme vous dites !

- Alors, pourquoi, toi, tu pourrais émettre des critiques ; et pas moi ?

- Mais, parce que – je suis désolé – nous ne sommes pas pareils !

- Ah ?

- Eh oui ! Comment dire ? D’abord, et ce n’est pas pour frimer, on peut dire que j’ai vu un grand nombre de films : si je disais dix mille, je mentirais, mais je n’en serais pas loin ! Mais, ce n’est pas seulement la quantité, c’est aussi la littérature qui va avec. Et la littérature de cinéma, je la connais plutôt bien, je crois. Comment dire, encore ? Disons, que j’ai le cinéma dans le sang, que j’en suis imprégné !

- C’est sûr, tu viens beaucoup plus que moi, à la Cinémathèque !

- Oui. Et, c’est déjà une grande différence. Je dirais ensuite, que je suis très « familier » avec le cinéma, et aussi la critique. Et si j’exagère – et je vais exagérer –, je dirais que je suis de la « famille » !

- Douchet, c’est un père…

- Euh, moi, je l’écris « P-A-I-R »…

- Ah, tiens ? pourquoi pas…

- Et, ce n’est pas pour me raconter. Et puis, j’ai admiré suffisamment de cinéastes – Straub, notamment – ou de critiques, pour savoir à quel moment m’en détacher ! « Tuer les pères », je l’ai souvent fait – et, je sais faire ! Bref, le cinéma, vient comme une troisième ou quatrième langue – j’en parle deux ou trois déjà – que j’ai, on va dire « adoptée », ou « apprivoisée ». Ce qui n’est pas votre cas. Vous, vous êtes extérieur – un visiteur. Mais, ce n’est pas pour vous disqualifier, c’est comme ça. Par exemple, tout ce que je dis là, pour quelqu’un de totalement étranger à la cinéphilie – ou au cinéma – ça passera facilement pour du fayotage. Mais, je pourrais encore vous répondre autrement. Je sais que vous goûtez un peu la philosophie, et que vous suivez Badiou. Bon. Je vais vous soumettre une hypothèse à laquelle je ne demande aucune réponse immédiate. Bien. Parfois, on peut lire sur des présentations de programme, une expression pour définir Douchet, et qui date de l’époque de la Nouvelle vague. Le petit jeu, ce sera moins de vous demander si elle est valable – pour moi, elle l’est assez – mais ce qu’elle implique, si elle est pleinement vraie. Et par avance, vous m’excuserez de vous quitter sur cette formule, mais je dois y aller. Donc, ses copains des Cahiers disaient de lui : « c’est le Socrate du cinéma ». Sur ce, au revoir.

par Albin Didon