Avant même qu’elle ne commence, la « réforme » des retraites va déjà dans le mur. Elle ne prend pas en compte ce qui doit l’être, préférant l’aménagement cosmétique. Elle reste ainsi dans la lignée du conservatisme français dont le mot d’ordre reste : « surtout ne rien changer ». Blocages institutionnels, blocages sociaux, blocages mentaux – c’est encore une fois l’inadaptation foncière de l’esprit français à la modernité qui se met en lumière !
Côté institutions, tout se passe en effet comme si les énarques sélectionnés par les maths ne pouvaient concevoir quoi que ce soit qui ne se calcule pas. Ils ne sont pas aidés par les syndicats, dont le marxisme réside dans le « yaka » faire payer les riches, sans même penser aux mutations de la technique. Tout se résume donc aux obsessions de robinet, à savoir comment le régler pour remplir la baignoire qui se vide. On ne raisonne qu’enfermé dans la quadrature du cercle : pensionner moins, augmenter les prélèvements, avoir droit plus tard et cotiser plus longtemps. Surtout ne pas penser au-delà, à l’emploi par exemple !
Côté social, les gens ne sont pas sortis de l’ornière biblique dans laquelle le patriarche, au soir de sa vie, regarde travailler ses enfants sur le champ qu’il a ensemencé, tandis que ses petits-enfants apprennent et lorgnent déjà les filles d’à côté. L’Etat-providence a repris ce mythe du paradis en voulant l’ancrer sur terre. Les générations sont donc chacune bien figées dans leur rôle traditionnel, voulu par Dieu ou par la Raison : enfant mineur en tout, adulte seul responsable social, retraité méritant poussé dehors. Dans cette représentation mentale, tout repose sur la génération centrale des 18-60 ans, les autres étant exclus de l’activité comme des responsabilités. Il sera très dur de remettre en cause ce « droit » immémorial de ne rien foutre avant 18 ans comme après 60 ans. Comme si la société de la connaissance exigeait le même travail physique que la société agricole ou que la société industrielle.
Côté mental, on feint d’ignorer le retard jusque vers 30 ans du premier emploi fixe comme la mise à l’écart dès 45 ans de beaucoup d’actifs. Cherchez donc un emploi passé cet âge, vous m’en donnerez des nouvelles ! Vous allez faire de l’ombre, vous êtes trop compétent, trop cher, trop frondeur… La retraite sonne alors comme une arnaque de bonneteau de la « génération égoïste », celle des enfants gâtés du baby-boom qui ont jeté les contraintes aux orties en 1968 mais qui s’accrochent de toutes leurs griffes au pouvoir et à leurs avantages malgré leur âge qui devient canonique. Tout le faux-cul de la société française ressort ainsi : hypersélection par les maths dès le tout jeune âge, voie royale des grandes écoles où la compétition est féroce, caste nantie qui s’autoprotège jusqu’à la sénilité : en politique, dans les entreprises, dans les médias. Cette minuscule élite feint de devoir calculer le partage d’un gâteau immuable, alors qu’il s’agit d’augmenter le gâteau !
· Nous vivons plus vieux et 60 ans aujourd’hui n’a rien à voir avec 60 ans il y a deux générations.
· Les technologies permettent désormais le travail n’importe où, sans pénibilité physique, adapté aux rythmes familiaux et personnels.
· L’exigence de connaissances fait qu’il devient ridicule de prétendre avoir tout appris à 20 ans et d’être prêt à tout sans jamais se recycler.
Le problème d’aujourd’hui est donc non pas « la retraite » mais l’emploi !
Comment le créer, l’encourager, le répartir durant la vie. Travailler plus tôt et travailler plus tard, mais autrement, entrecoupé de périodes de formation et de temps choisi. Le financement est secondaire dès lors que l’activité est forte. C’est la même chose pour une entreprise : lorsque son activité permet de dégager un cash-flow régulier, elle peut payer mieux ses salariés, investir dans l’innovation, embaucher, payer des impôts, mettre en réserves… Ce n’est que lorsque son management n’a pas su s’adapter au monde tel qu’il est, concurrentiel et en mouvement, que se pose le problème de gérer la pénurie, voire d’envisager la faillite.
La Finlande a par exemple réussi, depuis une douzaine d’années, à réformer ses retraites en s’attaquant à l’emploi. Avec un taux de chômeurs équivalent au nôtre (10%), le pays a lancé en 1997 un plan quinquennal qui associait les ministères. Travail, Formation, Education et Santé étaient sollicités pour agir ensemble ! L’objectif : favoriser l’emploi des plus de 45 ans. Ce n’est qu’en 2002, 5 ans plus tard et une fois la situation rééquilibrée (voir figure) que la Finlande a entrepris sa réforme des retraites. Institutions, société et mentalité ont été sollicités pour revoir leurs préjugés : des ministères différents ont travaillé ensemble, le souci de concertation a dominé à propos de la formation continue et des conditions de travail, enfin une campagne sur « l’expérience, richesse nationale » a été lancée pour valoriser les atouts des seniors. Sur 5 ans, le taux d’emploi des plus de 50 ans s’est accru de 25% !
Pourquoi ne pas tenter la même chose en France ? Probablement par inadaptation foncière de l’esprit français à la modernité…