Ce matin, à 7 heures 30, 26 coups de canon ont donc été tirés au bord du lac Léman, à Pully, devant Rive-Verte, la dernière résidence d'Henri Guisan, pour commémorer le cinquantenaire des funérailles du bien-aimé Général, que j'évoquais lors d'une récente promenade, racontée ici.
Pourquoi 26 coups de canon ? Pour symboliser les 26 cantons helvétiques, qui ont tous soutenu l'action du Général pendant la seconde guerre mondiale, qui n'ont pas fait défaut à ce militaire hors du commun, à ce fervent défenseur du fédéralisme, qui a incarné alors l'esprit de résistance.
Bien que je ne réside pas très loin - Pully jouxte Ouchy - et que je sois réveillé depuis longtemps à cette heure-là, je n'ai rien entendu. La bise soufflait déjà, ou le bruit de mon poste de radio couvrait le tir...
Aujourd'hui c'est donc le jour anniversaire des obsèques du Général. Le 12 avril 1960, à Lausanne, 300'000 personnes y assistaient. Du jamais vu, et du jamais revu depuis. Pour qu'une telle unanimité se soit faite, il ne pouvait s'agir du fruit d'un hasard. Il fallait bien que l'homme fût exceptionnel, n'en déplaise à d'aucuns qui portent en eux l'esprit de division comme ils portent inévitablement à gauche.
L'Hebdo, que l'on retrouve dans tous les mauvais coups portés récemment au pays, a baptisé un dossier de son dernier numéro - dans sa rubrique Mieux comprendre [sic] -, "Henri Guisan - Quand le mythe se lézarde" ici, à propos de la réputation du Général, qui serait quelque peu égratignée depuis 20 ans, comme il l'a été suggéré furtivement dans le téléjournal de ce soir sur la TSR.
Philippe Barraud dans un article intitulé "Guisan et les révisionnistes dévoyés" ici règle fort bien leur compte à ces travailleurs de mémoire, dont le but n'est pas d'écrire l'histoire mais de servir une idéologie systématiquement anti-bourgeoise et anti-militariste. Comme d'habitude, l'historien d'extrême-gauche de service, l'incoutournable Hans-Ulrich Jost, était la référence de l'hebdomadaire du même métal. Sur La Première, le même a bavé encore ce matin sur le Général, à peu près au moment où le cannonage était fait depuis Rive-Verte.
Dans la préface au livre Le Général Guisan et l'esprit de résistance, Jean-Jacques Rapin rappelle qu'un peuple ne doit pas oublier son passé et ses figures tutélaires, "avec leurs ombres et leurs lumières", au risque que ne s'insinue le "virus actuel de l'autodénigrement, de l'autoflagellation et du mépris de soi-même". Il ne croyait peut-être pas si bien écrire...
Le lecteur du livre de Jean-Jacques Langendorf et de Pierre Streit, publié aux éditions Cabédita ici, ne sera pas déçu. Les auteurs ne tombent ni dans l'hagiographie, ni dans la polémique. Avec humilité ils savent dire qu'à l'heure actuelle, il y a encore des trous dans la connaissance du sujet.
Les auteurs ne sortent pas de leur sujet quand ils dressent le portrait des prédécesseurs d'Henri Guisan à la fonction suprême de général, qui n'existe en Suisse qu'en temps de guerre ou de menace de guerre. Cela leur permet de souligner les différences et les ressemblances qui existent entre les destins des généraux Dufour, Herzog, Wille et Guisan.
Ils ne sortent pas davantage du sujet quand ils dressent le portrait de ceux qui ont dit non et qui ont incarné l'esprit de résistance, en d'autres lieux, au même moment que le Général. Le Maréchal Mannerheim fera payer très cher aux Soviétiques la conquête de terres finlandaises. Winston Churchill opposera aux Nazis une détermination de fer. Le Général de Gaulle n'acceptera pas la défaite de la France en 40. Le Général Mac Arthur, aux Philippines, résistera âprement à l'agresseur nippon invaincu facilement partout ailleurs.
Au début de la seconde guerre mondiale Henri Guisan mise sur la victoire de la France contre l'Allemagne. Ce qui ne l'a pas empêché de mobiliser et de faire passer les hommes sous les armes de 150'000 à 450'000, de veiller à empêcher le passage des belligérants, quels qu'ils soient, sur le sol national, neutralité oblige.
A l'annonce de l'armistice franco-allemand le Général connaît quelques jours de flottement avant de se reprendre, avant de publier un peu plus tard un ordre d'armée, le 2 juillet 1940, et de prononcer un discours devant 400 officiers supérieurs, le 25 juillet 1940, sur la prairie mythique du Rütli. Dans les deux cas il appelle à la résistance de la Suisse aux pays qui l'encerclent dorénavant.
En préambule à l'exposé de la stratégie du Réduit national élaborée par Henri Guisan, les auteurs font un rappel historique du refuge ultime, dont la forteresse de Massada des Sicaires résistant aux Romains est un exemple insigne. Le mot même de réduit sera employé pour la première fois en Belgique pour désigner le dédale de fortifications, voulu par Léopold 1er, pour protéger Anvers à la fin du XIXe siècle.
Au XXe siècle la montagne permettra à des troupes inférieures en effectifs de résister à des troupes ennemies. Les auteurs donnent les deux exemples de la "ligne Maginot" des Alpes qui permettra aux Français de résister avec succès aux Italiens de Mussolini et de Monte Cassino qui permettra aux Allemands de résister de longues semaines aux assauts des Alliés.
Le Réduit national va s'imposer comme stratégie, au caractère à la fois militaire et symbolique, parce que la Suisse n'a aucune chance de pouvoir résister aux Allemands en rase campagne. Il ne s'agit pas non plus de replier toute l'armée dans les Alpes suisses même si c'est la plus grande partie qui s'y retrouvera. Des troupes résisteront à la frontière, d'autres le feront sur une deuxième ligne, leur combat ne pouvant être que retardataire. Les troupes du Réduit de là harcèleront l'adversaire, lui tomberont dessus et lui infligeront des pertes sévères.
Les auteurs terminent leur ouvrage en montrant que les menaces qui pesaient sur la Suisse étaient réelles et qu'elles ne provenaient pas des mêmes adversaires tout au long du conflit mondial; en évoquant les rapports parfois tendus entre Henri Guisan et l'armée, entre Henri Guisan et le monde politique, qui contrastent avec le charisme non démenti que le Général exerce sur les civils, particulièrement les plus humbles. Lesquels le considèrent très vite comme le "père de la patrie" et lui vouent une confiance absolue, sans doute parce qu'il est proche d'eux, sait leur parler et ne leur raconte pas d'histoires.
"Guisan avait des défauts, Guisan a fait des erreurs ?" écrit Philippe Barraud dans l'article cité plus haut."Oui, quel homme n'en fait pas ? Reste qu'il a réussi un tour de force inouï : insuffler l'esprit de résistance aux Suisses. C'est irremplaçable, et pour cela, nous lui devons une reconnaissance sans réserve".
Jean-Jacques Langendorf et Pierre Streit ne nous cachent ni ces défauts, ni ces erreurs. Leur livre, qui comporte une riche bibliographie, n'en est que plus crédible. Il paraît au bon moment et devrait fermer le clapet aux "historiens engagés" et aux "plumitifs agressifs", comme les appelle Philippe Barraud.
Francis Richard
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