J'étais lycéen en Première Littéraire option Théâtre et espagnol. J'aimais infiniment le Théâtre.
Un jour je vis une annonce dans un gratuit qui cherchait de nouvelles plumes pour rendre compte
de l'activité culturelle sur la région. Je répondis. Ma proposition de faire office de critique dramatique bénévole
( oui on est dans un gratuit faut pas déconner ) fut agréé.
Ma première pièce à critiquer, je m'en souviens maintenant, fut Ah! Le grand Homme ! de Pierre Pradinas
( l'homme a même sa fiche Wikipédia l'heureux homme http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Pradinas)
C'était censé représenter un hommage à la figure tutélaire de Jean Vilar http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Vilar
sous la forme d'une répétition de théâtre. Autant le dire c'était tout pourri. La pièce était une farce mal écrite, des personnages fades, de l'ennui.
Je composais mon article en essayant de me faire le plus indulgent que je pouvais.
Une semaine après je me rendis au journal pour savoir de quoi j'allais avoir à parler la prochaine fois.
Presque la routine. Je fus acceuilli par le patron souriant.
" Alors c'est toi le fouteur de merde "
" Kézakokoicé ?"
La secrétaire de rédaction répondit à mes interrogations.
" Quelqu'un a envoyé une lettre pour répondre à ton article. Elle me tendit le poulet.
J'ai depuis bien longtemps égaré ce premier article mais garde toujours précieusement avec moi cette première lettre d'insulte, surtout que c'est la seule.
Je me permets de les citer ( oui ils s'y sont mis à deux pour m'insulter )
"L'article de ( c'est ballot je n'arrive pas à relire mon nom) journalistiquement n'a vraiment pas fait preuve de génie dans sa critique ( ou plutôt pseudo critique sommaire, très sommaire )." (...)
" S'il s'était quelque peu renseigné ( comme le fait généralement un critique qui se respecte) il aurait su que la troupe
n'arépété qu'un mois et demi avant de jouer." ( ...)
" La Paillette n'a pas de temps à perdre à présenter des pièces intello qui durent quatre heures ( pour un critique qui une
fois de plus aurait pris la peine de se renseigner )(...)
" Un conseil à notre jeune critique : qu'il se déride la prochaine fois qu'il va au spectacle"
J'en passe.
Je vous avoue que je savourais ce moment. Je venais d'écrire mon premier article sur une pièce qui avait rassemblé quelques dizaines de spectateurs. Ma bafouille était paru dans une feuille de chou confidentielle alors que la pièce était déjà sorti de l'affiche et n'avait donc aucune influence sur sa fréquentation.Juste mes mots déclenchait une telle réaction . Je passe sur l'argumentation de mon fan club.
Alors donc nous devons compatir au fait que des artistes n'auraient eu que peu de temps pour se préparer.
Eh mais alors pourquoi nous inviter ? Il y a de ces gens qui sonnent tous les tocsins pour que chacun leur accorde toute son attention, soites. Mais pourquoi refuser alors que nous prennions la peine de leur dire ce que nous en pensons? S'ils ne sont pas capable de supporter le choc de la critique, qu'ils réservent donc leur oeuvre à leur mère, facteur et thérapeute.
Quand à ces pièces intellos qui durent quatre heures je jure sur la tête de Peter Brook n'en avoir jamais parlé. Mais je trouve le propos assez farce pour défendre une pièce se piquant de rendre hommage à Jean Vilar.
Quand à se dérider, je croyais naîvement que cette pièce allait le faire pour moi .
Je savourais, je savourais.
Une semaine après j'étais passé à autre chose.
Je me rendais dans ce même théâtre, voir une autre pièce avec un collègue du journal.
On devisait de chose et d'autres.
A un moment je soufflais à mon voisin.
" C'est marrant. Les mecs là bas, ils ont l'air de me regarder mal"
" Ah ben c'est bien que tu m'en parle. C'est des acteurs de la pièce Ah! Le grand Homme.
Ils ont un peu mal pris ton article. Parce que tu comprends c'est des gens sensibles les acteurs. Alors tu comprends ils ont pas eu beaucoup de temps...
De talent non plus...
Pourquoi tu dis çà ?
Je jettais un coup d'oeil à la troupe . L'un d'entre eux vu sa mine paraissait d'humeur à me mettre un pain, mais n'était pas capable pour ce faire de franchir les quelques mètres qui nous séparaient.
Je ne voyais pas pourquoi ce serait à moi de le faire.
Je haussais les épaules et déclarais à mon collègue.
" Boâh , les droits de réponses c'est pas fait pour les canards sauvages. S'ils veulent :me démonter yzonkà...
moi je suis venu pour voir du théâtre."
Et je dirigeais mes pas vers la salle en passant devant mes admirateurs avec l'air le plus détendu que j'avais dans mon répertoire.
Malheureusement la lettre d'insulte ne parut pas dans le journal pour des raisons qui ne me sont pas resté en mémoire. J'aurais pris ceci comme une jolie médaille.
L'affaire, que j'étais d'ailleurs bien le seul a prendre pour tel, passa.
Je continuais à voir des pièces, à écrire quelques articles plus ou moins bon d'ailleurs.
Pour tout dire j'avais dans le viseur la venue de Peter Brook venu présenter une nouvelle Mise En Scène.
je lui avait déjà écrit dans la cadre d'un dossier scolaire avec une tripotée de questions auquel il m'avait répondu par ces mots ( je garde la carte encadré au dessus de mon lit et la formule toujours en mémoire . )
" Tout ce qui compte pour un metteur en scène est de refuser de tenir compte des écoles, des chapelles, des
stylescontradictoires. Il est là pour aider, pour que la vie apparaisse, peut importe, que les mots soient
d'hier oud'aujourd'hui. Il faut que le spectateur se sente à la fois touché surpris, bousculé,
émerveillé, dépassé,encouragé,vivifié. Donc il faut l'être soi même. Bon courage !
j'envoyais une nouvelle bafouille tremblante d'admiration pour lui proposer de m'accorder une interview.
Puis
Quelques jours plus tard, une collègue m'appris que le journal s'arrêtait pour cause de pas assez de pub' pour le financer. Ma première réaction ce fut pour Peter Brook. L'adresse que j'avais laissé dans ma lettre était celle du journal ( je n'allais quand même pas laisser celle de l'internat ) . La réponse allait se perdre . Mon espoir de le rencontrer s'envolait. Je crois que je ne réfléchis même pas à la riposte . Elle vint toute seule.
Je sortis ma carte de téléphone que ma mère m'avait acheté pour les cas de crises ( genre manqué le bus, attrapé une maladie, parlé à une fille ...) appelais le Théâtre, me présentais ( bon je vous le passe ) et déclarais
" Euh oui je crois que le courrier s'est un peu perdu et je voudrais savoir comment on fait pour l'interview..."
On me répondit qu'il n' y avait pas de souci et que le rendez vous était fixé au 2 Avril 1996 à 18 H.
A ce moment je reposais le combiné, repris mon souffle et effectuais une danse du scalp .
L'interview fut un moment de grâce. J'avais sur les quelques jours précédents appris tout ce que je pouvais sur le théâtre, emprunté des pavés sur le sujet à la bibliothèque dans lesquels je me plongeais sous l'oeil perplexe de mes condisciples qui me parlaient d'un vague Baccalauréat à préparer.
Je me contentais d'en réquisitionner un pour faire les photos .
Je vous livre donc cette image ou je serre religieusement la main de mon bouddha septuagénaire préféré avant de me prosterner à ses pieds.
La rencontre devait durer à l'origine 15 minutes. Je parvins à lui tenir la jambe durant plus dune demi heure.
J'avais dégoté une citation de Gordon Craig alors que son ouvrage ne figure plus dans les rayons depuis des lustres.
Il me sourit de ces yeux bleus ( a cet instant j'étais amoureux ) et me félicita.
Il s'excusa à la fin de devoir me quitter parce que vous savez les obligations ....
Je ne pu ramener à l'internat le fauteuil ou il s'était assis. Mais Yoshi Oida , l'un des acteurs de la pièce qui passait accepta de me dédicacer son livre
Je vous laisse pour conclure ma découverte que le magnéto n'avait pas marché et que je dû retranscrire cet interview entièrement de mémoire.
Mais je garde de tout cela une vieille dette au Maitre que j'essaie de payer en levant mon verre à sa santé tous les 21 Mars.