Elisa est venue plusieurs mois étudier à Bombay, dans le cadre de ses études à Sciences-Po. Au moment de son départ, en mars dernier, elle nous a remis son rapport de séjour que nous avons trouvé à la fois très intéressant et très bien écrit. Dans une démarche de partage d'expérience elle nous a indiqué que nous pouvions remettre une copie de son rapport à tous les étudiants intéressés.
Dans cet article, nous nous contenterons de publier l'épilogue de ce rapport de séjour. Nous en remercions vivement Elisa qui a su porter un regard personnel et "perçant" sur l'Inde. Mais nous voulons aussi profiter de cette occasion pour redire combien Olivia et moi sommes admiratifs de ces étudiantes et étudiants français qui font, pour quelques mois, le choix de l'Inde. Au-delà des difficultés réelles de la vie quotidienne d'ici, et au-delà de leurs études, ils ont, au moins intuitivement, compris que le choix du sous-continent indien faisait réellement partie du bagage cuturel indispensable de l'homme du XXI° siècle.
Je suis partie voir ailleurs si j’y suis, je suis encore dans cet ailleurs et, bien que je me sois entraperçue de temps à autres sous des formes différentes chaque fois, je cherche toujours. Ainsi, il me semble que cette conclusion prématurée ne trouvera son utilité réelle que dans quelques années, lorsqu’il s’agira de mesurer la distance parcourue depuis quant à la compréhension et l’assimilation de cette année. En effet, je n’ai pas le recul suffisant et ne le sais que trop bien, c’est pourquoi j’éprouve tant de difficultés à trouver le point final.
Tout d’abord, c’est un immense sentiment de frustration que j’éprouve. De ce point de vue là, il semblerait que je n’ai rien appris. J’ai l’impression que l’Inde, trop grande pour moi, m’ai dépassée et laissée derrière. J’ai bien peur qu’en dépit de tous mes voyages, certains regrets équivalents au nombre de ces régions auxquelles j’ai du renoncer, demeurent. Il est probable que je revienne, cependant ni l’Inde ni moi ne serons les mêmes qu’alors.
De la même façon, j’aimerais pouvoir me dire que l’Inde n’est plus pour moi ce puzzle dont certaines pièces manquent à l’appel qu’elle était au début. Seulement, bien que le nombre de pièces avec lesquelles je joue désormais ai considérablement augmenté tant grâce à St Xavier’s College qu’aux recherches que j’ai pu effectuées par moi-même ainsi qu’aux échanges que j’ai pu avoir avec des indiens, je pense ne jamais terminer ce jeu-ci tant leur nombre semble infini.
Il me semble pourtant dans cette myriade de doutes indiens, avoir acquis un certain nombre de certitudes à mon égard et découvert d’autres aspects de ma personnalité jusqu’ici insoupçonnés. J’ai notamment la certitude d’avoir réussi à établir un lien véridique, fort et inamovible avec l’Inde. En effet, ce ne fut en aucun cas une parenthèse dans ma vie ; l’Inde fait désormais partie intégrante de moi et me détermine en partie.
De la même façon, la curiosité que j’ai su progressivement découvrir pour la philosophie de l’Inde ancienne et ses représentations dans l’art et l’architecture ne me quittera pas. Ce n’est que la base et tout reste encore à construire, approfondir et développer.
Face à la multitude indienne, à son regard, on se retrouve souvent seul(e) face à soi même. Il est également d’autres instants d’éternité qui semblent hors du monde et hors du temps. Ce sont eux, à travers les rencontres avec certaines personnes, monuments et scènes de vies qui font écho et vous laissent apercevoir l’humanité sous sa forme concrète. C’est dans cet équilibre-ci que se trouve mon expérience de l’Inde, c’est en ceci que cette dernière est venue modifier ma perception du monde et de moi-même.
« J'ai lu et appris des gens du pays les détails relatifs aux femmes indoues qui se brûlent, mais je n'ai pas assisté à cette cérémonie barbare quoique religieuse. J'ai ajouté ce trait pour me délivrer des mille et une questions qu'on me faisait sur les usages du pays; en cela j'ai manqué à la vérité. Le voyageur de retour a tout vu, assure tout, de peur d'affaiblir son témoignage dans ce qu'il sait de réellement vrai ».
(Abraham Anquetil-Duperron ; 1758. Note manuscrite en marge de l'exemplaire personnel de sa traduction du Zend-Avesta de Zoroastre.)