Par Michel de Poncins, pour Tocqueville Magazine.
L’histoire du grand emprunt national de cent milliards lancé en fanfare à la fin de l’année de 2009 est un de ces contes fantastiques dans lesquels se complaît volontiers le pouvoir actuellement en vigueur. Admirons d’abord le qualificatif de national : la situation était si grave qu’il fallait appeler à un sursaut national pour sauver la France. Cela rappelle la triste histoire de l’emprunt Giscard qui était tellement avantageux pour les souscripteurs et désavantageux pour l’État que le parfum de la ruine en résultant se fait sentir encore aujourd’hui.
La crise a été invoquée pour justifier une politique de relance ; au lieu de libérer l’économie, le pouvoir a choisi une relance étatique, ce qui est un concept faux par nature ; en outre, si elle pouvait fonctionner ce serait avec des délais noyant tout effet éventuel. Il s’est ajouté la volonté de singer le privé, détestable habitude des politiques ; la secte des énarchos-socialos qui s’est emparée de la France depuis des décennies avait lu dans les livres que les privés en combinant de l’endettement avec des investissements rentables pouvaient créer de la richesse : ils ignorent ou font semblant d’ignorer que ce mécanisme est absolument impossible au niveau de l’État. L’effet de levier fut appelé aussi en renfort, sans que personne ne pense à son inséparable frère jumeau, que j’ai nommé il y a longtemps l’effet de massue.
Le projet lui-même comportait deux autres inconvénients majeurs. D’abord, ainsi que beaucoup le soulignèrent, toute augmentation de l’endettement public est dévastatrice et, en outre, il assèche à proportion les possibilités des privés de trouver des financements alors que ces privés sont les seuls à pouvoir créer de la richesse. Un autre inconvénient, pas souvent remarqué, est le suivant ; compte tenu de la durée de maturation inévitable, une grande incertitude s’est prolongée et les firmes qui voulaient investir dans les projets évoqués, parfois un instant, ont retardé leur investissement dans l’espoir d’obtenir par l’intrigue ou la corruption une partie de la manne annoncée.
Malgré l’urgence avouée, le plus pressé fut de lancer une grande parlotte nationale, réunissant 24 membres avec pour chacun de solides intérêts à promouvoir. Les deux personnages invités à diriger la parlotte étaient Alain Juppé et Michel Rocard, deux anciens premiers ministres qui ont participé largement lorsqu’ils étaient aux affaires à l’écroulement de la France, en particulier par les impôts qu’ils ont créés. Ils continuent d’y participer encore par leur fabuleux statut d’ancien premier ministre qu’ils partagent avec plusieurs autres. Ce statut ne suffisant pas à Michel Rocard, il a été nommé « ambassadeur de France chargé des négociations internationales relatives aux pôles arctiques et antarctiques » ; il n’y avait nul besoin de ce fromage créé tout exprès pour le satisfaire alors que le Quai d’Orsay fourmille d’ambassadeurs parfois en disponibilité connaissant le métier et capables de s’occuper des problèmes s’il y en a ; il s’est entouré d’une kyrielle de collaborateurs et n’a pas planté sa tente au froid mais bien au chaud dans de luxueux bureaux.
La parlotte devait dresser la liste des futurs investissements baptisés pour l’occasion d’investissements d’avenir. Les idées les plus folles ont circulé, chacun voulant se disputer cet argent hypothétique. Citons ces idées abstraites : l’économie de la connaissance, la compétitivité des entreprises, le soutien aux investissements industriels stratégiques, l’énergie solaire, l’énergie marine, la fibre optique, les nanotechnologies, le stockage de l’énergie électrique, la construction de stades, de nouvelles places de prison (sic).
Qu’est devenu le beau rêve qui devait sauver la France ?
Il a rétréci comme une peau de chagrin : le projet est inscrit tout simplement dans la loi de finances rectificatives pour environ trente-cinq milliards d’euros et les fonds seront obtenus dans le cadre de la gestion habituelle du Trésor.
Parallèlement, le choix des dépenses s’est réduit. Il reste les universités, le développement durable, l’économie numérique, l’industrie et les PME ; le tout est une sorte de permis de gaspiller s’ajoutant à bien d’autres. L’expression « développement durable » ne veut rien dire dans la langue française telle qu’elle existe encore. Investir dans les universités est aussi rentable que d’investir dans le trou de la Sécurité sociale : l’argent déversé sera absorbé dans un trou noir et ne reviendra jamais ; la seule façon de porter remède à l’état de délabrement des universités est de les vendre soit à des associations soit à des investisseurs privés, qui les gèreront comme toute entreprise doit l’être.
Chemin faisant, l’endettement de la France continue à s’envoler à grande allure. Il est permis de se demander jusqu’à quand les agences de notation lui assureront une note favorable, alors que l’Espagne, le Portugal et même la Grande-Bretagne sont sur la sellette. Comment peut s’expliquer cette exception ? Faut-il mettre en cause la manipulation des agences de notation par les pouvoirs publics ? C’est une éventualité.
Il existe peut-être aussi une explication dans la présence de DSK à la direction du FMI. La France a détourné ses affaires étrangères pendant plusieurs semaines pour obtenir d’une façon surprenante cette nomination ; personne ne saura jamais les contreparties qui ont été données avec les intérêts supérieurs du pays pour réaliser l’objectif. Il est possible que DSK s’affronte avec Sarkozy en 2012 ; soit avant, soit après l’élection, aucun des deux n’a intérêt à ce que la France rencontre des difficultés financières majeures.
Quelles sont les interpénétrations entre le FMI et les agences de notation ? À chacun d’imaginer.