Les références de Takeshi Kitano dans ce film sont délibérément européennes : Zénon d’Elée (qui vivait il y a 2400 ans en Grèce) pour commencer, avec le titre et les premières images, puis la France, mère des Arts (comme l’écrivait Du Bellay au XVIe siècle). Et il montre comme le Japon court après l’art contemporain occidental, en vain. Le héros du film, qu’on suit de l’enfance à l’âge adulte, a sans doute du talent, mais tout va le contrarier, et surtout le marché de l’art qui veut du scandale plus que de la création et qui exige toujours plus de l’artiste.
Mais il y a plus encore. Le nombre de morts par suicide dans le film (sans que jamais l’humour ne fasse défaut) révèle l’angoisse de la société japonaise. La prostitution n'est pas seulement une métaphore de l'artiste, ici, mais un signe aussi de l'état d'une société en perte de valeurs (et l'argent de la prostitution, qu'on ne s'y trompe pas, retourne à la prostitution). Le goût morbide du galeriste pour la souffrance, s’il rappelle que les peintres ont parfois utilisé la torture pour obtenir des images de l’âme humaine, permet au réalisateur de tourner en dérision non seulement une forme d’art contemporain, mais aussi les films violents (comme il en a, d’ailleurs, lui-même réalisé). Toujours plus, et le comique y gagne. Kitano connaît bien l’histoire de l’art et les questions qui se posent depuis toujours : l’artiste est-il celui qui fait ou celui qui conçoit ? L’artiste doit-il faire œuvre autobiographique ? Un produit manufacturé peut-il être considéré comme œuvre d’art ? Est-ce le prix qui fait la reconnaissance ? Qu’en est-il de l’art dans une société mécanisée ? Existe-t-il un art brut, dans le sens de ce qu’écrivait Dubuffet, « de l’art où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non, celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe » ? Mais tout ce qui s’apparente à l’art (essentiellement peinture et dessin) dans ce film est voué à la mort et à la destruction. Reste le cinéma, qui montre ce qui est en train de se faire.