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Tout commence par une bonne situation de comédie. C'est l'histoire d'un patriarche bien-pensant, portant confortablement ses lauriers d'ancien résistant, d'ex-avorteur clandestin et de défenseur des sans-papiers. Il décide, pour parfaire ce parcours sans faute, d'accueillir chez lui une famille d'immigrés clandestins. Dîner d'accueil: ses enfants et ses petits-enfants attendent, fébriles, la famille vietnamienne ou la tribu malienne - ils se retrouvent face à une grande Moldave aussi blonde que plantureuse. Une géniale pomme de discorde dans cet édénique tableau familial. Elle met les pieds dans le plat, fume à table, peste contre "les noirs et les arabes": matérialise devant la bourgeoisie ébahie 1m80 de réalité charnelle. "Une bombe", résume fort pertinemment le personnage de Luchini.
Seconde bonne idée, Anne Le Ny a voulu pousser jusqu'au bout la situation. Faire de ce postulat comique une histoire pathétique - faire surgir de l'émotion de cette configuration explosive. Prendre la comédie au pied de la lettre, et voir à quel drame ça peut nous mener. Car au-delà de l'hypocrisie sociale, il y a une histoire de famille, et un petit vieux qui s'accroche à la vie. Mais tout ça, ce serait si le film était réussi - ah oui, j'ai oublié de vous dire: le film est très nul.
La satire sociale, d'abord, et ses ressorts comiques. Il est fascinant d'observer la manière dont tous les effets sont gâchés. Méthodiquement. En dehors de quelques saillies passables, les répliques tombent à plat et les dialogues sonnent faux. La mécanique est enrayée encore par une direction d'acteur calamiteuse, qui fige Luchini dans une posture de vrai faux cynique bien trop facile pour lui. Karin Viard n'est plus qu'une grimace et Michel Aumont un ronronnement de vieillard sous viagra. La comédie n'est pas réussie, alors imaginez l'échappée dramatique...Un désastre sans fond dans lequel s'engouffrent tous les clichés psychologisants autour de la famille: la fille trop parfaite, le complexe du fils vis-à-vis du père, l'adultère plan-plan... La routine du film français quoi!
Décidément, les bonne idées ne suffisent pas. Il n'y a pas longtemps, au théâtre de l'Atelier, Fabrice Luchini a fait une lecture hilarante des textes de Philippe Muray. Il parlait, avec l'essayiste, de ce formidable défi que notre époque - avec ses fantasmes progressistes, sa langue inhumaine, ses rebellocrates - constituait pour les romanciers. De mon côté je m'étais pris à rêver aussi de cinéastes inactuels et iconoclastes, parvenant à saboter le discours de la modernité pour rendre à la vie sa chair et son sens. Il est d'autant plus triste de voir Luchini cabotiner dans ce film qui, justement, refuse au dernier moment de relever le défi.