Une semaine après sa victoire dans le Tour des Flandres, le Suisse Fabain Cancellara (Team Saxo Bank) a remporté Paris-Roubaix. Il avait déjà gagné l'épreuve en 2006.
Quelle course, ce Paris-Roubaix 2010 ! Une sacrée course de titans. On nous avait promis - et les deux protagonistes n’avaient pas démenti - un duel de prestige entre le suisse Cancellara et le belge Boonen. Ledit duel a bien eu lieu et c’est par K.O que le Suisse a affirmé une fois de plus sa supériorité actuelle.
La veille déjà, lors du rassemblement des coureurs sur la Place d’Armes de Compiègne, Fabian Cancellara avait affirmé lors d’une interview télévisée : « Je respire la bataille ». Et la bataille a éclaté dès les premiers tours de roue de l’épreuve.
La traditionnelle échappée matinale ne s’est pas développée car en tête du peloton les équipiers de Cancellara et de Boonen veillaient au grain. Bien avant l’entrée à Troisvilles, point de départ des secteurs pavés, Cancellara et Boonen sont venus eux-mêmes en tête du peloton pour bien indiquer qu’ils entendaient être les principaux acteurs de la course et qu’il ne fallait pas prendre trop d’avance. Ils faisaient fi alors des crevaisons, des chutes, des incidents divers qui amaigrissaient le peloton, le secouait d’intenses moments d’inquiétude avant qu’il ne se reforme jusqu’au prochain incident. On vit même à plusieurs reprises Cancellara et Boonen pédaler côte à côte, sans se parler bien entendu.
Est alors arrivée la tranchée d’Arenberg, découverte en 1968 grâce à Jean Stablinski, une longue trouée dans la forêt qui constitue en fait le premier examen de passage des candidats à la victoire finale. Cancellara l’a abordé en tête, Boonen dans la roue. A mi-parcours, Boonen passait en tête suivi de Cancellara. Tous les deux, avec le peloton derrière eux, ont triomphé des embûches de ce secteur. Acclamés par une foule particulièrement compacte et très disciplinée, ils ont tressauté sur leur machine, encaissé les pavés aussi disjoints qu’abrupts, évité la chute. "Laissez-moi cinq équipiers à la sortie d’Arenberg et je conduis la course à ma guise", avait encore dit Cancellara à Compiègne. Sur la longue ligne droite succédant à la trouée, chacun a regardé autour de lui. Cancellara avait ses cinq équipiers, Boonen aussi. Le duel pouvait se poursuivre. L’arrivée n’était plus distante que de 90 kilomètres. Boonen n’y tenait plus. Cette situation d’attente l’énervait. Dans le "chemin des Prières", ainsi dénommé car il était emprunté jadis par les fermiers qui allaient faire leurs dévotions à l’église voisine d’Orchies, Boonen haussa le ton, appuya un peu plus fort sur les pédales, se dégaga de l’emprise de Cancellara et prit rapidement une petite trentaine de secondes d’avance. Cancellara, dans un premier temps ne bougea pas puis haussa lui aussi le ton. Il provoqua le regroupement.
Les secteurs pavés défilaient : Bersée, La Vache Bleue, Mons-en-Pevèle. Et voici Merignies, à 42 kilomètres de l’arrivée. Un secteur de mauvais pavés long de 700 mètres. Cancellara est sorti du groupe. Personne ne l'a suivi. Le suisse voulait prendre Boonen à son propre jeu en durcissant la course, en se montrant offensif. Offensif, certes, mais pas en plusieurs fois, en une seule. Cancellara commande à son corps de se livrer à fond malgré la douleur. Le corps est d’accord avec la volonté. Et avec application, avec efficacité, il a écrasé les pédales, s'est joué des pavés. Il passa Vertain, L’Epinette, Cysoing, Camphin-en-Pévèle sans même jeter un regard à la population locale qui pour l’occasion a sorti ses « géants » habituellement réservés pour le carnaval. Il a traversé les villages à la vitesse de l’éclair. On remarque son assise sur sa machine. Le bassin bien droit. Pas un geste inutile. Assis sur sa selle comme quiconque dans son fauteuil. Il a scruté la route, attentif à l’endroit ou il place ses roues. Les battus du jour, Boonen en tête, tentaient de s’organiser mais il leur manquait des forces. Au fil des kilomètres, l’écart s'est accru pour atteindre deux minutes à l’arrivée.
Derrière Cancellara son directeur sportif, Bjarn Rijs au volant de la voiture suiveuse n'est pas intervenu. Il n’y a rien à dire à Cancellara sauf des mots de félicitations, ce qui est fait par l’oreillette. A deux kilomètres de l’arrivée, Cancellara s'est libèré. Il a demandé à la moto de la télévision de s’approcher de lui et il a sorti d’une des poches de son maillot le petit angelot qu’il avait déjà montré à la caméra dimanche dernier peu avant l’arrivée du Tour des Flandres, angelot offert par sa femme et sa fille pour qu’il ne les oublie pas au cours de cette longue campagne flandrienne.
Cancellara franchit la ligne. Le vélodrome lui a réservé une ovation monstre. Durant les deux tours de piste, il a salué la foule, dressé son poing vers le ciel puis au ralenti a rejoint le quartier réservé aux coureurs. Il est descendu de vélo, l'a laissé aux bons soins d’un mécano et s'assit sur le banc qui lui était réservé. Il était seul. Il voulait rester seul. Il n'a répondu à aucune question. Flecha est venu interrompre sa réflexion. Ils se sont donnés une longue et franche accolade.
Fabian Cancellara venait de remporter Paris-Roubaix huit jours après avoir obtenu la victoire dans le Tour des Flandres en terrassant à chaque fois l’idole Tom Boonen avec la même tactique : une attaque, une seule à 40 kilomètres de l’arrivée et le reste avec ses seules qualités pour résister à l’adversaire.
Fabian Cancellara, qui entre de plein pied dans l’histoire du cyclisme, voulait d’abord être seul pour goûter cette joie immense qui l’envahit petit à petit quand lui sont revenus en mémoire tous les événements de cette journée si chargée d’émotion.
Fabian Cancellara a illuminé notre dimanche comme il a illuminé le cyclisme.
Jean-Paul
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