Récriminer ou être un mouton ?

Par Eguillot

Lorsqu'on est auteur édité, on a parfois l'impression qu'il existe peu d'alternatives entre les mille et une raisons que l'on aurait de récriminer contre son éditeur ou bien le fait de demeurer passif, dans la position du mouton qui attend d'être tondu. D'autres voies existent cependant, qui méritent d'être explorées...


Examinons tout d'abord les motifs de récrimination que l'on pourrait avoir contre les éditeurs. Cela pourra paraître surprenant qu'il puisse en exister, puisque, dans un contexte où il est si difficile de se faire publier, les éditeurs peuvent apparaître comme les hommes et les femmes providentiels, les grands philanthropes de notre temps. En un mot, les sauveurs. Mais, que voulez-vous, la nature humaine est ainsi faite, et nous autres auteurs sommes des êtres si ingrats... Voici donc une petite liste, non exhaustive, de motifs de reproches (reproches qui, pour n'être pas toujours exprimés, n'en existent pas moins, à des degrés variables d'intensité) :

- la marge auteur, c'est à dire l'argent touché pour chaque livre vendu, qui avec certains éditeurs, peut atteindre les 2% du prix du livre pour l'auteur et se situe plus généralement aux alentours de 8 ou 10% (ce qui reste inférieur à ce que va toucher, par exemple, le distributeur, celui qui transporte le livre jusqu'aux divers points de vente, avec 12 ou 14%)

- la qualité de la couverture, ce qui peut correspondre, si l'on affine, au choix de l'illustrateur/trice et/ou à la qualité d'impression de la couverture (et donc, au choix de l'imprimeur)

- la mise en page et la typographie

- la qualité d'impression (ce qui revient à dire, le choix de l'imprimeur)

- la qualité des corrections effectuées sur le manuscrit

- l'appui proprement littéraire (relecture sur le fond, cohérence, intérêt de l'intrigue, du suspense, qualité du style, conseils, etc.)

- la promotion (publicité presse écrite, radio, TV et Internet, envoi d'exemplaires en Service Presse)

- l'absence d'événement de lancement au moment de la sortie du livre (salon ou même simple séance de dédicaces dans une librairie)

- le défaut de participation aux grands événements littéraires de la saison

- le défaut de participation à quelque événement que ce soit

- être placé, lorsqu'on participe à un salon, juste en face d'une fenêtre, au fond de la salle, oui, là-bas, derrière les grands panneaux d'un autre éditeur (l'éditeur aura mal négocié la place...)

- de manière plus générale, les problèmes d'intendance ou la mauvaise organisation (souvent lié à un événement littéraire)

- ne pas être défrayé quand on va sur un salon, devoir payer l'hôtel

- l'éditeur ne veut pas que l'on travaille avec un agent littéraire

- l'absence de reddition des comptes (nombre de livres vendus, annonce d'un retirage...)

- le manque ou l'absence totale de communication

- le fait de ne pas être payé ou de l'être avec du retard

- le manque de respect

- l'absence d'exploitation de votre livre, ou l'interruption de son exploitation

Sans pour autant se transformer en mouton, un bon moyen de réduire si ce n'est de supprimer la plupart de ces petites aigreurs consiste à mettre en rapport les moyens de son éditeur avec les objectifs désirés. Le principe de réalité permet ainsi d'évacuer les exigences les plus utopistes. Méfions-nous cependant, car certains des reproches évoqués plus haut (et évidemment le dernier) constituent clairement des motifs de rupture de contrat. Il convient aussi d'avoir une appréciation claire de ce dont est capable votre éditeur, ce qui est loin d'être toujours aisé (notamment pour tout ce qui ressort des possibilités financières). 

L'une des voies dont je parlais plus haut pour éviter de trop récriminer contre son éditeur est évidemment l'investissement personnel, qui nous amène à nous battre, à ses côtés ou de notre côté, pour la promotion de l'ouvrage. L'action évite ainsi de trop cogiter, et si une vraie relation de confiance existe, le sentiment d'être un mouton qui attend qu'on vienne lui prendre sa laine n'aura aucune raison de venir hanter vos nuits.

Poussé à son paroxysme, cet investissement personnel peut se transformer, par exemple en cas de défaillance complète de l'éditeur, au final, en quelque chose de bien différent. Honni par certains, acclamé par d'autres, je veux parler de l'autoédition. Il ne sera pas question ici de l'édition à compte d'auteur, déguisé ou non, mais bien de l'autoédition telle qu'ont pu la pratiquer, en leur temps, Denis Diderot et bien d'autres. Sans vouloir parer cette formule de toutes les vertus, il est difficile de ne pas reconnaître son côté dynamisant : les motifs de récrimination cités plus haut "sautent" tous d'un coup (à moins de vouloir se morigéner), et s'il peut malgré tout arriver de récriminer contre d'autres personnes (l'imprimeur, par exemple, ou les libraires s'ils ne paient pas les factures à temps), c'est de manière beaucoup plus dispersée. La charge de travail est évidemment considérable, ce qui a l'immense avantage, avec l'expérience, de pouvoir mieux comprendre quelle peut être la marge de manoeuvre d'un petit éditeur - pour les gros, mieux vaudra travailler en tant que comptable à leur service pour s'en faire une idée, ce qui n'est évidemment guère compatible avec l'autoédition.

Beaucoup ne voudront pas se priver du fantasme de "l'éditeur qui va me rendre célèbre". Les rêves, les utopies sont précieuses et nous font souvent avancer. A ceux-là, il restera donc à réussir, et à devenir un auteur d'un tel renom, dont les best-seller s'empileront avec un tel poids et une telle régularité qu'un seul froncement de sourcils envers son agent devrait lui suffire à faire sauter tous les motifs de récrimination avant même qu'ils n'émergent. C'est une autre voie pour éviter les deux écueils à la fois, mais pas la plus facile...