Return of the Ankh

Publié le 11 avril 2010 par Www.streetblogger.fr

Une femme sait se faire attendre. Erykah nous a fait languir deux longues années depuis 4thWorld War (lire la chronique), avec cette promesse d'une suite : Return of the Ankh (Control Freaq Records/ Universal Motown). C'est-à-dire que durant ce hiatus, notre déesse de la NuSoul a mis au monde son troisième enfant, fruit de son union avec Jay Electronica.

Quant aux adeptes du baduisme, ils trouveront de la nourriture pour leurs esprits avec cette offrande divine, en commençant par la contemplation des détails de l'illustration de son livret entre psychédélisme, symbolisme et vieille SF, sur laquelle Erykah Badu est une androïde en cours d'émancipation.

Il ne suffit que de quelques secondes pour comprendre pourquoi voue-t-on un culte à Erykah Badu. Elle possède ce pouvoir indescriptible, comme celui d'attirer ou rendre fou parmi les meilleurs hommes et artistes de la planète (Andre 3000, Common, The D.O.C., Jay Electronica...), de sublimer son art en tant que chanteuse et musicienne et plus avec sa passion pour la peinture. Et de captiver son auditoire comme elle jetterai un sort de prêtresse vaudou. Ici, un vrombissement ondulant vers les aigus ouvre sur les notes graves de « 20 Feet Tall ». Instantanément, le grain de voix et l'amertume des textes d'Erykah atteignent leur dimension spirituelle, à la hauteur de notre interprète : immense. La composition acoustique est l'oeuvre du claviériste James Poyser, son joker qui la suit depuis ses débuts et musicien incontournable de la mouvance Soulquarian, qui rejoue un instru à la base produit par 9th Wonder. En fond, on entend un bruit de grincement, comme un rocking-chair qui se balance.

Puis il y a ce « Window Seat », limpide et lumineux, orchestré par James Poyer et ?uestlove. La polémique? Quelle polémique ? Si Erykah veut se filmer nue sur le lieu de l'assassinat de JFK, c'est qu'un message s'y cache derrière... A cette irradiation s'ajoute un groove pénétrant qui nous accompagne tout le long de Return of the Ankh : de « Take Me Away (Get MuNNY) » à « Fall In Love». Pour avoir tant d'idées lumineuses, il faut s'entourer de génies de la lampe : James Poyser aux claviers, ?uestlove ou Karriem Riggins à la batterie, Mike Chav (producteur co-éxécutif) pour la prog, Madlib le 'sampleriste', Shafiq Husayn le partenaire créatif des Sa-Ra, Stephen 'Thunderbass' Bruner, bret tous les contributeurs sans exception... Loin d'être anecdotique, la présence (spécifiée par le terme 'featuring') de la harpiste Kirsten Agnesta sur « Incense » venant sanctifier un instrumental de Madlib. La voix d'Erykah s'y transforme magiquement en une fumée qui s'élève jusque dans notre être intérieur pour l'appesantir.

Six des chansons reprennent des samples ou les interpolent d'une certaine manière à recréer tout un habillage neuf autour, ce qui rajoute un peu plus de trip et de supplément d'âme. Même lorsqu'elle provient d'une oeuvre posthume car oui, c'est bel et bien un instru de J Dilla qui est repris pour « Love », relevé par des moogs et des adlibs qui ne font que durer le plaisir. Un autre producteur de Detroit s'illustre à son tour, Ta'Raach et ses Lovelution sur le smoothie « Gone Baby, Don't Be Long », addictif à souhait. Il est vrai que les grésillements d'un vinyle ne font que rendre plus parfait le charme et l'élégance d'Erykah, comme cet échantillon d'Eddie Kendricks, son standard « Intimate Friends », sur « Fall in Love (your funeral) ». Elle réinvente la NuSoul à chaque album, comme si son émancipation suivait plusieurs métamorphoses.

Les thèmes abordés par Erykah Badu sont centrés autour de son coeur, intouchable au demeurant mais pas moins sans sensibilité profonde. Altruiste et militante, généreuse, pourtant nombre de ses partenaires peuvent se brûler les ailes à son contact, à leurs risques et périls (« Fall in Love »). Elle apprécie l'amour qu'on lui donne, elle adore y goûter (« Umm Hmm », « Love ») mais quand elle termine cet album par une chanson sur les dégâts psychologiques que lui provoque une rupture, il lui faut dix minutes partitionnée en trois mouvements (« Out My Mind, Just In Time » co-produite par Georgia Ann Muldrow) pour exprimer son malaise intérieur et ses plaintes douloureuses. Ni Dieu, ni Maître, ni Homme.