Christelle, l’histoire de votre famille est peu banale et est liée à un enchainement d’événements assez peu connus. Aujourd’hui vous êtes française et vous vivez en France, mais votre histoire a des origines géographiques bien différentes. Et vos origines se situent en Inde. Mais entre 1854 et 1888 des milliers d’indiens vont quitter l’Inde. Que se passe-t-il à ce moment-là ?
Après l’abolition de l’esclavage en 1848, les français ayant besoin de main-d’œuvre pour maintenir le niveau de production de sucre dans leurs colonies, ont fait appel à la main-d’œuvre indienne dans le cadre de contrat d’engagement pour 5 ans. On parle d’ « engagisme » ou « indentured labour ».
Cette main d’œuvre était déjà utilisée dans les îles de l’océan indien (Maurice, Réunion) par les français et les anglais en tant qu’esclaves. En ce qui concerne la Guadeloupe, les bateaux sont partis tout d’abord de Pondichéry puis de Calcutta avec des indiens venant de toutes les régions de l’Inde avec une forte majorité du Tamil Nadu et du Nord-Est de l’Inde (Uttar Pradesh et Bihar).
Les indiens souffraient de la domination anglaise et cherchaient à survivre. Entre les famines, les humiliations et la perte de leur emploi, certains n’ont vu d’autre solution que de partir dans ces îles prometteuses d’un avenir meilleur. Mais il y a eu aussi des indiens engagés de force car il fallait remplir les bateaux avant le départ.
Comment ces indiens sont-ils accueillis en Guadeloupe ?
L’accueil est loin d’être chaleureux car les indiens ont enlevé aux anciens esclaves l’opportunité de faire pression sur les français pour avoir de meilleures conditions de travail. Par ailleurs, les français, pour éviter toute alliance entre les communautés maintenaient un mauvais climat. Du coup, anciens esclaves et travailleurs engagés étaient chacun de leur côté et généralement se détestaient.
Beaucoup de propriétaires de plantations leur ont fait subir des mauvais traitements et humiliations et n’ont pas respecté pas les termes du contrat d’engagement. Pour la majorité des descendants d’engagés indiens, cela reste une histoire douloureuse.
A la Guadeloupe le 23 février 1904 débute, au tribunal de Capesterre-Belle-Eau un procès qui se terminera en 1923. Pour vous ce fut une étape très importante. Que s’est-il passé ?
Les indiens étaient censés venir pour 5 ans mais tout était fait pour qu’ils restent, de gré ou de force, car cela coûtait cher de les ramener et qu’on avait besoin d’eux.
Ils ne pouvaient pas légalement continuer à pratiquer leur religion, les mariages autres que chrétiens n’étaient pas reconnus et les enfants nés en Guadeloupe devaient être christianisés. Mais en même temps, ils étaient apatrides. Ni français ni anglais et avec la fin des convois de retour dans les années 1890, ils ne pouvaient plus repartir.
Un juge de paix guadeloupéen d’origine indienne, Henry Sidambarom, s’est battu pendant presque 20 vingt pour que ces travailleurs et leurs descendants obtiennent le droit de vote et la nationalité française.
Cela a permis aux indiens et aux indo-guadeloupéens de retrouver leur dignité, de prendre part à la vie de l’île et de s’intégrer en Guadeloupe. Mais ils ont quand même réussi à garder un peu de leur culture indienne et à la transmettre.
L’histoire de cette émigration est-elle connue en Inde ?
L’Inde a pris conscience de l’histoire des engagés depuis quelques années maintenant. Le « Ministry of Overseas Indian Affairs » a même été créé pour instaurer un lien avec sa diaspora, descendante d’engagés ou non, disséminée dans le monde car elle a un poids économique grandissant. Tous les ans en janvier ont lieu les « Pravasi Bharatiya Divas » (journées de la diaspora indienne) où se retrouvent notamment les GOPIO (Global Organisation of People of Indian Origin).
Les réunionnais ont toujours eu un lien très fort avec l’Inde de par leur histoire et la proximité géographique.
Le GOPIO Réunion, présidé par Paul Canaguy, a organisé des commémorations à Pondichéry en janvier 2010, avec le concours des institutions indiennes et françaises. Les antillais ont été invités à participer à ces évènements et, suivant l’exemple de la Réunion, ils sont en train de s’organiser. Outre la marche sur le bord de mer au son des tambours, une stèle en mémoire des engagés a été posée dans le jardin de l’auditorium de l’Université de Pondichéry et inaugurée par le Chief Minister.
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