Je dois avouer tout d'abord que Catherine Deneuve n'est pas mon actrice française préférée, mais je lui reconnais d'avoir su mener sa carrière avec beaucoup d'intelligence et d'avoir été, de par son élégance et sa beauté, une merveilleuse ambassadrice de la femme française à travers le monde. Je l'ai beaucoup aimée dans Benjamin ou les mémoires d'un puceau et Peau d'âne où elle figurait la jeune femme idéale par sa blondeur et la délicatesse de ses traits. Plus tard, je l'ai appréciée dans les Bunuel, sans doute parce que le génie du cinéaste a été en mesure de révéler ce que la réserve naturelle de l'actrice l'empêchait d'exprimer. Il lui a permis de nous toucher dans un registre difficile, où nous ne l'attendions pas. Ce metteur en scène obsessionnel était un diable d'homme ; il avait l'art de manipuler les êtres et avec Catherine Deneuve le résultat fut tout simplement stupéfiant.
Ne disait-elle pas : " Je suis aussi d'une lucidité épouvantable, effrayante. (...) La lucidité, pour une actrice, c'est terrible. Parce qu'il faudrait pouvoir réellement s'isoler. parce qu'il ne faudrait pas toujours sentir certaines choses. Parce qu'il ne faudrait pas toujours voir. Il y a des moments où l'on aurait besoin de se laisser entraîner par un certain élan mais cette lucidité le rend impossible. Elle paralyse, elle empêche la spontanéité. Les gens lucides ont souvent du mal à décoller. J'ai toujours ressenti l'exigence, l'anxiété... En revanche, j'ai l'impression que la lucidité s'aggrave avec le temps ".
Catherine Deneuve, de son vrai nom Catherine Dorléac, est née à Paris, le 22 octobre 1943, dans une famille de comédiens : son père était doubleur à la Paramount et sa grand-mère souffleuse à l'Odéon. C'est Roger Vadim, avec lequel elle vivra et aura un fils Christian, qui lui donne sa chance dans Le vice et la vertu, mais ce sont, la même année, Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy qui amorce réellement sa carrière. Elle y campe avec grâce une jeune fille amoureuse d'un soldat, contrainte d'en épouser un autre. L'année suivante, au côté de sa soeur Françoise Dorléac morte peu de temps après dans un accident de la route, Les demoiselles de Rochefort la propulse dans l'Olympe des acteurs qu'elle ne quittera plus, tant sa carrière sera menée de main de maître, avec un remarquable discernement. Après ces deux comédies charmantes, la jeune femme enchaîne avec Répulsion de Roman Polanski, où elle interprète une tueuse schizophrène avant d'être dans Belle de jour ( 1966 ) de Bunuel, une femme mariée insatisfaite qui se prostitue à mi-temps. Selon moi, l'un de ses rôles les plus marquants avec Tristana , qu'elle tournera, toujours avec Bunuel, trois ans plus tard. Suivront La sirène du Mississippi, Mayerling, Fort Saganne, Le Sauvage avant qu'elle n'aborde les films de l'âge mûr comme Indochine, Le dernier métro, Est-Ouest, Place Vendôme, 8 femmes, jusqu'au tout dernier Après lui, où elle est une mère qui a perdu son enfant.
Ainsi a-t-elle abordé les personnages les plus divers, tour à tour costumée dans des films dits d'époque, où elle nous est apparue en princesse, reine, aristocrate - ce fut le cas dans Le temps retrouvé inspiré de A la recherche du temps perdu de Marcel Proust, dans Peau d'âne d'après le conte de Perrault ou dans Palais-Royal d'une facture plus contestable - ainsi que dans des comédies légères ou des oeuvres dramatiques. Elle reste aujourd'hui une actrice convoitée qui a, à son actif, plus de 70 longs métrages. Il est vrai que le mystère demeure entre l'image publique, trop figée, et certains films où elle n'est pas simplement décorative ou ornementale. Si La chamade apparaît comme le sommet du film frivole, il est évident que Le dernier métro, Tristana, Les prédateurs, Dancer in the dark déplacent les lignes où l'on voudrait la retenir et que la période de simple splendeur passée, une femme affirmée et plus humaine est apparue. Elle ne se contente plus d'enchanter et de séduire, elle émeut. Peut-être moins facilement, moins complètement qu'une Sandrine Bonnaire ou une Isabelle Huppert, mais elle a pris le pouvoir et, désormais, ne se laisse plus manipuler. Elle s'est investie sans perdre son côté flânerie qui lui va si bien. Aussi la regarde-t-on, de nos jours, non seulement avec plaisir mais avec intérêt.
Cependant la grande actrice, qu'elle est, ne se cache pas d'être avant tout famille, famille. Elle avoue : Ma vie personnelle a toujours été plus importante que mon métier. Non que je sous-estime mon métier, mais j'ai toujours senti que cela ne pouvait pas être l'essentiel de ma vie, que cela n'en serait jamais le moteur. J'ai besoin de travailler, de m'exprimer professionnellement mais ma famille, mes enfants, ce n'est pas seulement un sens des valeurs, c'est primordial pour moi. J'ai des amis, les mêmes depuis vingt ans. Ce sont eux à qui je tiens vraiment. Mon métier est complémentaire.
Après avoir vécu avec Vadim, Catherine Deneuve a épousé le photographe de mode David Bailey, puis a été la compagne de François Truffaut, de Marcello Mastroïanni dont elle a eu une fille Chiara, actrice elle aussi, comme son demi-frère Christian Vadim. La famille reste immergée dans le monde du spectacle. Catherine a reçu le César de la Meilleure Actrice pour Le dernier métro en 1981, un autre César pour Indochine, la coupe Volpi de la Meilleure Actrice à Venise en 1998, le Prix d'honneur du Festival du film de Bruxelles et l'Ours d'Or pour l'ensemble de sa carrière à Berlin.