Méchants médias. Méchant, méchant Internet.

Publié le 11 avril 2010 par H16

Le dimanche, c’est ce temps de repos en famille où, passé le proverbial poulet, on peut prendre un peu de recul, se délasser l’esprit, faire des mots-croisés ou commenter l’actualité dans ce qu’elle a de plus badin, superficiel ou complètement anodin. Evidemment, les petites misères médiatiques du néo-communiste Mélenchon ou du couple Sarkozy devant l’adversité rumoristique font des perles de choix pour ce genre d’exercice.

Ainsi, Jean-Luc, c’est un mal aimé.

Trouvant le Parti Socialiste décidément pas assez socialiste mais vraiment trop parti, il avait décidé, en février 2009, de créer son propre parfum, avec moins d’édulcorants, plus de colorant (rouge de cochenille, bien sûr), et surtout une formule améliorée qui était destinée à piquer un peu les papilles et réveiller un électorat archéo-communiste d’un PCF qui l’avait complètement chloroformé.

Entré en concurrence avec le parti ultra-trotskyste du petit Oliv’La’Dérive, il a depuis âprement défendu ses « idées » tout en proposant, de façon récurrente, des alliances avec le Nouveau Parti Antitout qui, comme de juste, s’en est toujours tenu éloigné afin d’éviter de dépasser la barre fatidique des 2% qui l’aurait rendu visible sur le spectre politique français (avec succès jusqu’à présent).

Bénéficiant de nombreux relais dans la presse, Jean-Luc est donc parvenu à montrer que le communiste est un loup pour les autres communistes : il a goulûment vampirisé une partie des trente-huit (ou un peu plus, peu importe) électeurs authentiques du PCF pour les accueillir joyeusement chez lui.

Pourtant, Jean-Luc a bien compris que, pour continuer à exister, il lui faudrait faire des coups, faire parler de lui, et éviter ainsi le sort presque douloureux (s’il n’était risible) d’un Nouveau Parti Aérogonflé dont la crevaison récente n’a laissé qu’une baudruche flapie dans un petit chuintement comique.

Et pour faire parler de soi, rien de tel que se monter tout seul le bourrichon et d’engueuler un bon coup un étudiant en journalisme.

Ici, je tiens à préciser que, sur la forme, Jean-Luc a fait assez fort : il n’aurait plus manqué qu’ajouter une bonne paire de baffe au tombereau de propos méprisants qu’il a sorti d’un coup pour donner un tableau d’ensemble assez juste du personnage.

Sur le fond, cependant, on ne peut pas dire que le petit cornichon lyophilisé qui tentait l’interview n’a rien fait pour éviter la correction qu’il a subie. Certes, en tant qu’étudiant, on aurait pu comprendre qu’il bourdât, mais point qu’il s’enferrât obstinément dans ses questions de plus en plus idiotes, au point qu’on en soit maintenant à utiliser l’imparfait du subjonctif. C’est dire.

Evidemment, une fois l’explosion retombée, Jean-Luc pourra ensuite s’expliquer plus calmement, persistant dans sa constatation de la médiocrité toujours plus grande de la presse, mais notant tout de même qu’il faut bien faire avec.

En fait, Mélenchon a bien compris qu’un angle d’attaque viable consiste à mépriser la presse, ce qui lui donne deux avantages : d’une part, il fait parler de lui, et d’autre part, quand on ne s’intéresse plus à lui, on lui donne de facto raison quand il claironne que la presse, c’est de la merde qui ne s’occupe que du strass et des paillettes.

Sur le plan rhétorique, c’est assez fort et on peut sportivement admirer le vieux roublard de la politique pour avoir utilisé ici un de ces moyens relativement subtils qu’un Le Pen n’aurait pas renié jadis. Mais il n’en reste pas moins que l’ensemble s’apparente, paradoxalement, à une bonne utilisation de ces médias qu’il conspue.

A l’inverse, nous avons le couple sarkozien.

Comparer la communication rudimentaire mais finalement efficace de Mélenchon avec celle de toute l’équipe de Sarkozy, sa femme et ses ministres ne peut amener qu’un lot complet de consternation livré en pack de douze, avec un bon de réduction promotionnel conséquent à faire valoir en caisse.

Je ne relaterai pas le trajet johnlecarresque de l’affaire des rumeurs, on pourra facilement trouver les péripéties du couple chez Lait d’Beu ou chez mon confrère Toréador qui relie d’ailleurs lui aussi  - et avec brio – la sarkozie avec la mélenchonie.

Ce qui m’intéresse, dans cette tragicomique affaire, c’est surtout l’utilisation qui en est faite, presqu’en marge des agitations bicarbonatée des meilleures tripes de la République protestant devant un tel traitement : en effet, la rumeur sert ici non seulement à désigner à l’indignation outragée certains journalistes qui auraient fauté en colportant des informations douteuses, mais aussi à livrer un canal de communication en particulier à la vindicte populaire.

C’est dit : internet devra payer.

Là où Mélenchon, aussi grossier et vulgaire soit-il, a correctement désigné le problème des journalistes en montrant qu’ils étaient devenus obsédés par les sujets les plus putassiers pour vendre du papier, le couple élyséen et toute sa clique de communicants poussiéreux utilise le moyen facile, usé et ridicule de l’attaque globalisante : « C’est le méchant internet qui provoque tout ça ! »

Pour les protagonistes, le cas est entendu : il s’agit bel et bien d’une nouvelle méchanceté du réseau des réseaux, ce nouveau far-west où les cowboys du code et du HTML se tirent dessus à coup de billets blogueurs décochés plus vite que leur ombre. Peng, une rumeur, paf un mort.

L’extraordinaire Alain Duhamel, éditorialiste à la pensée fulgurante et à l’analyse profonde qui aura réussi dans toute sa carrière à la fois à être d’accord avec tout le monde et se tromper avec insistance, le dit d’ailleurs avec cette pertinence qui donne une image assez fidèle du niveau du chroniqueur journalistique moyen :

« Les journaux étrangers sont délibérément hypocrites. Ils feignent régulièrement de prendre ce qu’il y a sur le Net, alors habillé de JDD, de Nouvel Obs ou de tout ce qu’on veut, et ils en font quasiment une preuve. Ce qui est nouveau, c’est l’accélération gigantesque et l’amplification à travers Internet. »

Retraduit de façon claire, ceci veut dire que pour l’intelligentsia scribouillarde franchouille, les journaux étrangers piochent dans les blogs (ce que les journalistes français, graines d’Albert Londres et moult prix Pulitzer en main, ne s’abaisseront jamais à faire, hein), ne vérifient pas leurs sources et font n’importe quoi n’importe comment.

Mais ce n’est même pas nouveaux : ils sont nuls, et l’ont toujours été, certes.

Ce qui est nouveau, c’est surtout le (vilain méchant) Internet qui fait rien qu’à amplifier encore leurs mauvaises manies !

Et pour Barbier, ce chamallow de la pensée rose emmitouflée dans le consensuel qui ne froisse pas, dont la microscopique intelligence fut mise en pause dès sa carte de presse obtenue, tout ceci s’explique d’une phrase aussi lapidaire que galactiquement conne : « Il y a une vraie différence entre Internet et le média, ça s’appelle le travail tout simplement. Sur Internet, on ne travaille pas, quand on est dans un vrai média, on travaille. »

Quand on voit la production usuelle de l’auteur d’une telle phrase, on en vient à préférer le non-travail d’internet qui a le bon goût de coûter ce qu’il vaut, là où l’autre andouille produit fort cher des choses qu’on devrait plutôt se faire rembourser. Dans l’armée des pignoufs, si Duhamel a clairement gagné ses galons de caporal essentiellement grâce à l’avancement automatique et sa longévité, Barbier, lui, est maintenant Général trois étoiles et continue de grimper vigoureusement.

Bref : on peut surtout noter que, de Duhamel à Barbier en passant par chacun des rigolos qui commentent officiellement la rumeur dans l’un de ces journaux journalistique à tendance journalière, ou même dans la fine équipe de Sarkozy, aucun n’a moins de 50 ans et tous sont bien en peine de simplement se connecter sur Internet : de façon évidente, ces fiers chevaliers de l’information ont trouvé dans une technologie qu’ils ne maîtrisent pas du tout un bouc-émissaire facile.

On craint ce qu’on ne comprend pas.

Une fois le coupable démasqué, on va pouvoir s’empresser de mettre en place toutes les mesures nécessaires à éradiquer enfin la vermine qui dit ce qu’elle pense et qui raconte ce qu’elle veut sur ce média scandaleusement non surveillé : rien de tel qu’une bonne petite Internet Polizei pour bien réguler tout ça, et c’est Morano qui s’y colle.

Et alors que la communication élyséenne était pathétique et complètement foireuse, alors que la réaction des journalistes baignait dans l’habituel bain de pignouferies qui donne son cachet inimitable à cette presse que le monde entier nous moque, l’intervention de la Nadine permet d’atteindre le niveau ultime de l’idiotie titanesque : puisqu’internet n’est pas régulé (watzefuck ?), que ce monde virtuel déverse des torrents de boue (kwâ ?) grâce à l’anonymat (médequoikelparle ?), on va devoir mettre en place une police internationale (argh).

On a ici l’archétype de la réponse politicienne début XXIème siècle à un problème donné : si ça bouge, faut le taxer. Si ça continue à bouger, il faut le réguler. Et si ça arrête de bouger, on subventionne.

Et on a ici aussi l’archétype de la réponse journalistique française devant la perte croissante de sa crédibilité : c’est la fautogratuit, c’est la fautàlinternet.

Mon constat reste donc le même : avec une presse complètement à l’ouest et des politiciens résolument coincés en 1950, ce pays est foutu.