Alors que les employés, cadres et ouvriers de la Raffinerie Total de Dunkerque sont confrontés à l'angoisse d'un futur incertain pour eux et leurs familles, la recherche de coupables se tourne avec une monotonie mécanique vers « les patrons » et « les capitalistes » qui font des économies alors même que leur entreprise fait des profits.
Bien sûr, c'est là la preuve d'une inimaginable inculture économique, les profits étant une bonne chose, à sauvegarder avec soin puisqu'ils récompensent les investisseurs pour leur prise de risque, mais aussi qu'ils sont le signe de la viabilité de l'entreprise. Une entreprise qui cesse durablement d'en faire n'en a plus pour longtemps.
Mais le plus dommage dans ce mode « pilote automatique » bêta de désignation des coupables, c'est qu'il rate une cause réelle et, elle, plus qu'inquiétante, de cet accident industriel grave : l'acharnement inouï et persistant de l'Etat et de la loi contre les raffineries de pétrole.
En effet, cela fait des décennies que la France fait tout pour minimiser la consommation de leurs produits. En premier lieu, bien sûr, ils sont parmi les produits les plus taxés qui soient. Leur prix à la pompe est principalement constitué de taxes, en strates multiples, sur lesquelles on ajoute bien sûr une bonne couche de TVA pour faire bonne mesure.
Cela réduit naturellement la demande pour ces produits et donc le besoin de production et donc le besoin de travail et d'usines. Cela met particulièrement la pression sur les raffineries les plus petites, dont le rendement ne peut atteindre celui des géantes comme, dans le cas de Total, le complexe du Havre ou celui d'Anvers. La demande des produits des raffineries baisse d'année en année. Ce n'est pas une fatalité : c'est le résultat d'un choix aussi irresponsable que destructeur de la part des pouvoirs publics.
Comme si cela ne suffisait pas, la détestation ne s'arrête pas là : non seulement on favorise le chauffage électrique pour justifier les investissements massifs du pays dans le nucléaire, au détriment du mazout qui vient des raffineries, mais encore on invente tout un tas de mesures prohibitives contre l'achat de voitures consommant un peu plus que le minimum, que ce fût la vignette en son temps, ou désormais le bonus malus pseudo écologique. Pseudo, car en effet, le CO2 qu'on pénalise est une émission entièrement inoffensive, non seulement aujourd'hui mais aussi dans 30 ans, et dans 100 ans. En attendant, tous ces emplois détruits ne reviendront pas et on aura d'autant augmenté la pauvreté.
Ne croyez pas pour autant que les dégâts causés à cette industrie par un Etat inconscient s'arrêtent là. Ainsi, en distordant le marché par pur caprice et en pénalisant moins punitivement – tout est relatif – le diesel que le super, on supprime pour ainsi dire le marché pour un des dérivés du brut que la raffinerie n'a pas de choix que de produire, cette fraction étant de toutes façons présente dans le pétrole brut. Le raffinage français se retrouve donc obligé et de devoir trouver des débouchés d'export outre océan pour son super, alors qu'au contraire on a du mal à fournir la demande en gasoil, et qu'il faut même en importer.
De plus, les raffineurs ont fait des investissements gigantesques pour être en conformité avec les réductions sur l'absence de soufre. Dans ce cas ci, là règlementation n'est pas dépourvue de sens, contrairement aux délires sur le CO2, la présence de soufre dans les carburants pouvant endommager les pots d'échappement catalytique, ce qui serait un problème de pollution bien réel. Néanmoins, cette évolution a représenté pour l'industrie un coût dont a aura du mal à se rendre compte.
Ayant personnellement travaillé longtemps dans les pétroles, ce que je précise ici dans l'intérêt de la plus grande transparence, j'ai pu constater de façon répétée à quel point, quand on parle d'ouvriers en ce qui concerne une raffinerie, on utilise un terme qui est loin de rendre justice à ceux qui le portent, sauf à bien comprendre le contenu vraiment noble du mot. Le grand public ne se rend certainement pas tout à fait compte que chacun de ces hommes et femmes, a nécessairement dans son travail des responsabilités liées au fait de porter à de très hautes températures et de très hautes pressions des produits inflammables, voir explosifs, et souvent toxiques. Ajoutons à cela que le risque existe de fuites de gaz mortel tels l'hydrogène sulfurée ou le BF3.
Bien sûr, la règlementation, les ingénieurs et le management mettent en place des équipements et des procédures pour éviter toute tragédie. Mais ce dont on se rend difficilement compte, sauf à y avoir passé assez de temps, c'est à quel point ces équipements et procédures reposent sur la prise de responsabilité de la part de tous sur un site, du directeur à chaque opérateur. Chaque ouvrier veille chaque jour, et sans pouvoir se permettre de baisser la garde, non seulement à ne jamais se blesser, pour ne pas en subir les conséquences ou les en faire subir à sa famille, mais en plus, et c'est d'une importance capitale, veille aussi en permanence à la sécurité des collègues de son équipe. C'est cet œil bienveillant mutuel de tous qui permet le miracle trop peu loué de toutes les innombrables heures sans accidents, dans un environnement, rappelons le une fois de plus, parmi les plus dangereux et les plus potentiellement hostiles qui soient.
Si j'ai réussi à faire monter un tant soit peu en vous un sentiment d'admiration pour ceux qui sont souvent des héros trop peu reconnus, j'ajouterai juste qu'une raffinerie est naturellement un outil industriel qu'on ne peut pas arrêter et redémarrer, sauf nécessité. En effet, la métallurgie des unités souffrirait trop de refroidissements et réchauffements, et de variations de pressions, trop fréquents. En conséquence, le travail dont j'ai essayé de vous donner un aperçu plus haut doit continuer 24 heures sur 24, 365 jours par an sauf arrêts pour maintenance ou réparations, et les équipes font donc des quarts, les opérateurs pratiquant donc régulièrement le travail de nuit.
Pourquoi donc, dès lors, attaquer ainsi incessamment ces hommes par les brimades intolérables qu'on fait porter aux produits de leur travail ? De nos jours on justifie cela par des peurs irrationnelles sur le réchauffement ou, pire encore, sur le grotesque « changement » climatique, comme si le climat n'avait pas toujours changé.
Bien sûr, on m'objectera, à raison, que l'absence de cet empilement d'agressions contre les raffineries n'aurait pas garanti la survie du site Total de Dunkerque. Mais la réponse à cette objection, on ne l'aura, du coup, jamais, et elle n'enlève rien au fait que de pénaliser au maximum un site un tant soit peu vulnérable ne va en aucun cas l'aider à survivre aux périodes de vaches maigres qui reviennent régulièrement dans cette industrie au plus haut point cyclique.
En direction des ouvriers eux-mêmes, du pétrole et même de l'industrie en général, j'aurais enfin ces mots : négociez avec vos employeurs sans concessions pour obtenir le meilleur salaire pour vos compétences, qui sont souvent plus grandes qu'on ne l'imagine. Mais pourquoi ne pas aussi défendre votre industrie contre les attaques sauvages et incessantes de la part de l'Etat pour la rendre toujours moins compétitive et moins viable, et ce sous couvert de justifications aussi ahurissantes qu'irrationnelles comme le fameux réchauffement climatique ? Plus on regarde de près aux données censées le prouver, ce fameux réchauffement, et moins on le trouve évident.
Et que font vos syndicats pour vous défendre ou sauver vos entreprises et donc vos emplois ? Ils tapent sur vos managers, ils tapent sur des entités abstraites comme les « capitalistes », mais pourquoi leur silence assourdissant quand il s'agit de ceux qui font à votre industrie un tort clair, immédiat et irréversible, et qui la menacent sans raison valable, en tuant ses débouchés, les taxeurs débridés en tous genres ?