Après un épisode introductif des plus efficaces, permettant de poser les enjeux de la saison, ce deuxième épisode retrouve la construction narrative classique de Ashes to Ashes : une réflexion sur les personnages occasionnée par une enquête policière, dont l'intérêt n'est pas dans une originalité quelconque, mais plutôt dans ce qu'elle insuffle à la dynamique de groupe, le tout saupoudré d'un soupçon de mythologie, qui reste pour le moment en arrière-plan - nous n'en sommes qu'au début de la saison.
La thématique globale de l'épisode propose une réflexion sur l'idée d'appartenance à une équipe, déclinant cette idée à plusieurs niveaux : à travers l'intrigue du jour, plutôt de transition, qui se saisit de l'opportunité de faire prendre un peu de relief au personnage de Shaz ; mais aussi par le biais de l'attitude d'Alex, qui s'intéresse trop au passé, en se concentrant sur la destinée de Sam Tyler.
L'enquête policière du jour transpose dans les années 80 une intrigue très appréciée des scénaristes des cop shows modernes,traitant du cas d'un serial killer. Une affaire qui commence de façon un peu artificielle et qui ne se départit jamais de l'impression qu'elle est un prétexte pour occuper, mais surtout faire réagir, les différents personnages. Car, si Ashes to Ashes délaisse un peu le caractère irréel et assez déconnecté qui avait prévalu au cours du premier épisode, ce deuxième se concentrant, à partir de bases plus rationnelles, sur l'intrigue du moment, elle rappelle constamment que les enjeux majeurs sont ailleurs, avec l'omniprésence du DCI Keats, en arrière-plan, qui, de manière insidieuse, s'efforce de miner la solidité et la loyauté des différents membres composant l'équipe constituée autour de Gene Hunt.
L'attente du téléspectateur étant focalisée sur des détails ou des références plus cryptiques, à connotation mythologique, il est logique que l'intrigue policière paraisse doucement ronronner. Pourtant, je confesse prendre toujours beaucoup de plaisir à observer toutes ces personnalités dissemblables et hautes en couleurs intéragir. Ashes to Ashes est parvenue à créer une ambiance atypique, profitant de son cadre temporel particulier, qui lui est très personnelle et donne la part belle aux personnages sur l'intrigue en elle-même. Marquant un fort contraste avec les fictions policières déshumanisées aux scenarii cliniques qui ont fleuri dans le paysage sériephile au cours de la dernière décennie, il se dégage de cette dynamique propre à la série quelque chose de chaleureux, qui lui permet de compenser des enquêtes aux ressorts par trop anecdotiques. Encore une fois, l'affaire du jour ne fera exception à cette règle.
Une main coupée du cadavre d'une jeune femme est envoyée à la police. Loin de tergiverser, Alex active instinctivement ses réflexes de psychologue pour s'improviser apprentie profiler, et surtout orienter l'enquête vers l'idée qu'il n'y aurait pas une seule victime, mais qu'il convient de rechercher si le tueur n'a pas déjà sévi. A partir d'éléments forts réduits, l'enquête progresse de façon finalement très rapide, en grande partie en raison des circonstances - le meurtrier accélère ses rituels macabres - et de la vivacité d'esprit d'Alex (qui n'est pourtant pas infaillible, ce que l'épisode rappelle opportunément). Cette progression accélérée, par paliers, est aussi le symptôme d'une construction somme toute très bâteau, qui ne recule pas devant le recours à certaines facilités scénaristiques. Non que l'on en tiendra rigueur à l'ensemble : en dépit de son cadre et la fibre nostalgique sur laquelle elle aime jouer, Ashes to Ashes n'est pas une série policière.
Cette affaire va surtout être l'occasion pour Shaz de s'illustrer. Douce Shaz, toujours en retrait, personnage féminin et effacé dans ce monde machiste et misogyne que constitue leur équipe. Elle n'a pas le caractère ou l'assurance d'Alex, qui bénéficie du fait qu'elle s'est forgée deux décennies plus tard, mais elle est une digne représentante de son époque. Pour une fois qu'elle se retrouve sur le devant de la scène, c'est évidemment que quelque chose vient enrayer cette apparence lisse que Shaz présente généralement. Elle doute de sa place au sein des forces de police, cherchant sa voie. Finalement, le cas du jour va prendre des connotations quasi-initiatiques, consacrant et consolidant la jeune femme dans l'équipe. Alors qu'elle veut démissionner, c'est elle qu'il va falloir envoyer sur le terrain pour coincer le tueur. Non seulement prend-elle des risques, mais elle est également contrainte de jouer les "femmes d'action". Se substituant symboliquement à Alex qui, depuis son arrivée, avait toujours endossé ce rôle en rupture avec les moeurs traditionnelles de l'époque, Shaz se démarque ainsi de l'ombre de celle qu'elle considère presque comme un mentor. Si le happy end paraît peut-être un peu trop beau à l'écran, avec une Shaz qui fait la paix avec elle-même, c'est aussi parce que l'enjeu de cette réflexion identitaire se situait surtout à un autre niveau : en coulisses, c'est la pérennité et l'unité de l'équipe, sur laquelle Gene Hunt exerce son influence, qui sont remises en question.
Car dans un épisode où la mythologie s'inscrit en retrait par rapport au premier, Keats semble s'exercer à un étrange jeu. Tout en agissant en parfait "policier des polices", s'intéressant aux cas au cours desquels l'unité aurait dérapés, oubliant la loi pour un prétexte ou un autre, son objectif premier paraît d'être une source de division. Les soupçons qu'il a, sans avoir eu l'air d'y toucher, introduits chez Alex ne sont qu'un premier pas. Lorsqu'il croise une Shaz en plein doute, un soir, seule encore à travailler au commissariat, il l'encourage à partir sans en prononcer formellement les mots. Cela souligne bien sa volonté de dissoudre toute cette équipe très - trop ? - soudée autour d'un leader charismatique auquel elle est entièrement dévouée. L'évolution de la storyline de Shaz est particulièrement révélatrice du fait que tout cela n'est que lutte d'influence entre Keats et Hunt. Après toutes les émotions provoquées par son face-à-face avec le serial killer, c'est dans les bras de Gene Hunt que, instinctivement, Shaz vient se réfugier lorsque ses collègues la rejoignent. C'est encore une fois Gene qui l'a fait changer d'avis et revenir sur sa démission. L'épisode, tout en se concentrant sur le personnage de Shaz, ne fait ainsi que consacrer, indirectement, le rôle central et déterminant de Gene.
La même dynamique se retrouve dans les réflexions d'Alex, qui se concentre aussi indirectement sur son patron en s'interrogeant sur la mort de Sam. Cette dernière, se posant peu à peu en fil rouge dont la résolution bouclerait tous les mystères de l'univers de la franchise, ramène inexorablement l'équipe à Manchester, à un passé qu'Alex ne connaît qu'à travers les propres dires de Sam lors de son retour dans le présent. L'ambivalence de Gene, le refus d'évoquer à nouveau cette mort... les scénaristes passent l'épisode à forcir le trait d'un mystère qui peu à peu s'épaissit, sans que la moindre progression concrète n'ait lieu. Les recherches d'Alex ne sont pas secrètes. Il est bien difficile pour le téléspectateur de cerner et de se positionner par rapport à cet intrigant jeu du chat et de la souris auquel elle joue avec Gene Hunt. Pour le moment, la série pose ses pièces une à une, sans se presser, se contentant de maintenir l'attention du téléspectateur sur une histoire qui aura forcément une portée déterminante.
D'ailleurs, sur un plan purement mythologique, si l'épisode fonctionne dans un cadre plus rationnel que le précédent, il ne se départit cependant pas de quelques hallucinations ou rappels que nous ne sommes pas dans une série policière au sens classique du terme. La série distille des indices, propose des énigmes pour le moment insolubles... Elle pique la curiosité de façon presque anecdotique, sans que nous ayons la possibilité de progresser dans ce puzzle qui se dresse devant nos yeux. L'aspect que je préfère dans ce teasing au long cours, c'est la façon dont est utilisée la bande-son de Ashes to Ashes : aucune chanson n'est choisie au hasard, elles cadrent toutes avec les enjeux et chacune renvoie un message particulier. Et quand le téléspectateur entend retentir un bref extrait de Life on Mars en croisant le regard de Shaz à la fin de l'épisode, il ne peut s'empêcher de tendre l'oreille et d'observer l'écran de façon plus intense, cherchant pour le moment vainement des réponses aux questions qui se bousculent dans sa tête.
Bilan : Episode plus classique que le précédent, l'enquête policière n'en est qu'un cadre prétexte. L'enjeu réside dans le développement d'une thématique forte, celle de l'appartenance à un groupe : idée autour de laquelle tout semble tourner et qui s'impose avec beaucoup de force, se révélant face aux agissements du personnage trouble de Keats, mais sur laquelle pèse également l'ombre de la mort de Sam Tyler. Ashes to Ashes distille ses éléments mythologiques au compte-goutte, elle a toute une saison pour apporter des réponses aux interrogations qu'elle prend plaisir à susciter chez un téléspectateur qui n'ose plus garder de certitudes sur cet univers. Nous ne sommes pas pressés, il faut savourer cette dernière ligne droite.
NOTE : 7,5/10