Dire que ce troisième album de Pantha Du Prince était attendu (tout du moins par moi!) est un euphémisme. Car si le premier album de l’Allemand Hendrik Weber, Diamond Daze, paru en 2004, n’était pas foncièrement extraordinaire, malgré quelques fulgurances (le fantastique Eisregen, par exemple), car trop conventionnel, empêtré dans le carcan de la techno minimale, son deuxième disque, This Bliss, paru il y a trois ans, se rêvelait lui être un véritable chef d’oeuvre: Pantha y démontrait sa capacité à créer un style personnel, un véritable bloc de mélancolie centrée sur des basses d’une profondeur incroyable, évoluant par petites touches, par micro variations. Après cette oeuvre que j’irais jusqu’à qualifier de majeure, il était donc permis de se demander si Pantha allait parvenir à réussir un autre disque d’une telle qualité.
Après deux mois d’écoute, je pense pouvoir affirmer que ce Black Noise renouvelle de fait l’exploit. Ce n’était pourtant pas gagné d’avance, car ce nouveau Pantha est trompeur, paraissant aux premiers abords plus accessible, car plus mélodique (on trouve même un titre avec Panda Bear d’Animal Collective, dont Pantha est proche – il avait remixé leur Peacebone pour le single du morceau, et a assuré leur première partie sur leur tournée européenne de l’an passé), et avec des morceaux globalement plus courts (on ne trouve plus d’épopées de 12 minutes comme Urlichten sur le précédent album…), et évoluant plus clairement et plus rapidement. Du coup, l’impression s’en dégageant dans un premier temps est celle d’un album plat, aux morceaux globalement similaires, seule Stick To My Side, avec le chant de Panda Bear, semblant s’en détacher. Mais Pantha Du Prince a un talent pour créer des albums très homogènes: le même problème se posait d’ailleurs aux premières écoutes de This Bliss. Là aussi, il faudra donc laisser décanter l’album et les différents titres pour apprécier à leur juste valeur ces morceaux finement ciselés.
Un constat s’impose: le son de Pantha a fortement évolué durant les trois dernières années, bien plus qu’entre ses deux premiers albums. Cette évolution est d’ailleurs sensible dès la pochette de l’album: là où les deux précédentes frappaient par leur noirceur, on a cette fois-ci droit à une image détaillée et plus claire, mais estompée. On retrouve la même évolution dans le son: Pantha semble avoir donné moins de place aux basses qui étaient omniprésentes, voire écrasantes, par le passé, pour laisser plus de places à ces tintillements aigus qui constituent désormais le coeur des mélodies et des morceaux, et qui lui confèrent ce son si particulier, à la fois brumeux et aérien. La mélancolie qui se dégage ne s’en fait que plus vive, comme par exemple lorsque les mélodies de Satellite Snyper ou Bohemian Forest (meilleurs morceaux du disque à mon goût) s’extirpent du brouillard pour apparaître dans toute leur splendeur. Et l’on touche ici à un autre point de l’évolution de l’Allemand: Black Noise fait place à des compositions plus directes, moins linéaires. Car là où une grande partie de This Bliss résidait dans des microvariations qu’il fallait déceler, faisant avancer les morceaux très progressivement, Black Noise voit des changements plus marqués, plus nets, plus tranchants. Et laisse donc place à des variations d’atmosphères intéressantes: Satellite Snyper par exemple commence avec un thème presque disco (ou plutôt, sonnant comme Pantha faisant du disco…), avant de s’engouffrer dans une voie plus mélancolique. Mêmement, Behind The Stars commence en techno dark renforcée par le chant grave d’Hendrik (qui nous fait là entendre sa voix pour la première fois depuis Glycerin, sur son premier disque), pour finir de façon nettement plus mélodique.
Clairement donc, Pantha Du Prince ne s’est pas contenté de composer un successeur situé dans la lignée directe de son This Bliss, mais s’est remis en question – probablement aidé par le séjour dans les Alpes duquel Pantha aurait tiré son inspiration et ses samples: contrairement à ce que semble indiquer son titre, Black Noise est un disque plus aérien, moins sombre, mais nettement plus brumeux et mélancolique, que son prédécesseur, qu’il complète donc à merveille. Cet album semble ne souffrir d’aucune faiblesse manifeste, et aucun titre n’est à mon sens à jeter, même si une poignée de titres se détache très nettement: Lay In A Shimmer, The Splendour, Stick To My Side, Satellite Snyper ou Bohemian Forest sont autant de perles quasi-parfaites.
Malgré une concurrence très rude en musique électronique cette année (entre Autechre, Scuba, Four Tet, Babe Rainbow, …), ce Black Noise se révèle donc être un disque trouvant largement sa place parmi les tous meilleurs disques électroniques de ces derniers mois – je ne suis pas loin d’affirmer qu’il s’agit du meilleur disque électronique de l’année jusqu’à présent, mais Oversteps d’Autechre me paraît également mériter ce titre). A écouter donc, pour tous les amateurs de musiques électroniques ou mélancoliques en tout genre – et pas seulement de techno minimale, car Pantha s’extrait ici assez largement des clichés du style.
Pantha Du Prince – Black Noise (2010, Rough Trade)
- Lay In A Shimmer
- Abglanz
- The Splendour
- Stick To My Side
- A Nomad’s Retreat
- Satellite Snyper
- Behind The Stars
- Bohemian Forest
- Welt Am Draht
- Im Bann
- Es Schneit