Jeudi, il est allé se recueillir au Mémorial du plateau des Glières en Haute Savoie, haut lieu de la résistance française pendant la guerre. Il fallait une photo du Monarque solitaire et inspiré, de noir vétu, marchant vers le Mémorial. Il était « optimiste dans la tourmente », relate le Figaro. Optimiste ?
La rumeur dérape
Cette 153ème semaine de Sarkofrance a débuté comme souvent depuis 2007 : vaudevillesque, ridicule et incontrôlée. Sarkozy avait lâché ses proches et une partie de l’appareil d’Etat à l’assaut des auteurs des rumeurs d’infidélités conjugales au sein de son couple. Le JDD a porté plainte. Une enquête préliminaire est lancée. Un conseiller expert ès ragots et l’avocat du président se sont exprimés publiquement, accusant un complot international. Pierre Charon cible nommément Rachida Dati devant une trentaine d’élus UMP. La presse relaye. Comme dans un mauvais polar mafieux, on nous dit que « la peur doit changer de camp » : Sarkozy avait-il donc peur ? Depuis 2004, Nicolas Sarkozy a toujours adoré se poser en victime, de Clearstream à sa rupture avec Cécilia. A l’étranger, les médias se gaussent. Même le Times britannique nous rappelle les grandes rumeurs passées de libertinage qui ont frappé les précédents présidents.
L’ex-Garde des Sceaux est tétanisée et file clamer au micro de RTL combien elle vénère toujours Nicolas Sarkozy, et combien elle déteste son entourage. Quelques minutes plus tard, Nicolas Sarkozy déboule dans la réunion hebdomadaire de ses conseillers à l’Elysée, qu’il séchait habituellement. Il leur dit de ne plus évoquer le sujet. Le rétro-pédalage est à son maximum. Son épouse Carla tente d’éteindre l’incendie médiatique, en intervenant sur Europe 1. Elle qualifie d’« inimaginable» de croire qu'une enquête ait pu être conduite sur des «commérages». Le soir même, Bernard Squarcini, le patron de la DCRI, confirme que le contre-espionnage français a bel et bien enquêté sur l’origine informatique de la rumeur. Le lendemain à Glières, un « proche » explique aux journalistes accrédités que Sarkozy ne voulait pas porter plainte. Bien sûr.
Cette affaire a rappelé à celles et ceux qui l’avaient oublié un trait de caractère essentiel du Monarque : il maîtrise très mal ses nerfs, surtout lorsqu’on touche à sa vie privée, cette même vie privée qu’il adore par ailleurs exhiber devant photographes et journalistes dans des exercices de communication encadrés qui font sourire la presse étrangère. Après la défaite aux régionales, certains reprochaient à Sarkozy de ne pas être assez présidentiel. Le voici carrément fébrile.
Chatel patine
Mercredi et jeudi, Luc Chatel organisait les tant attendus « états généraux sur la violence à l’école ». Il y a un mois, avant le scrutin régional, l'UMP et le gouvernement n'avaient qu'une solution en tête devant les violences : la video-protection. Quelques 17 000 élèves sont exclus du système scolaire chaque année, soit près d'une centaine par jour de classe. Les enseignants se plaignent du manque d'effectif et de formation. Jeudi à Paris, Luc Chatel a clos ces débats par quelques annonces. Côté prévention, il a promis que les futurs enseignants suivraient durant leur master une formation spécifique sur la gestion des conflits, et qu'il organiserait à la rentrée une « conférence nationale sur les rythmes scolaires », un souhait des parents d'élèves comme des syndicats. Le ministre était plus inspiré en matière de répression: il a répété l'engagement présidentiel de supprimer les allocations familiales aux parents (précaires) d'élèves violents. Il a promis un diagnostic des établissements pour installer davantage de video-surveillance. Les moyens humains promis sont ridicule (500 postes). Il veut « doubler les effectifs » des équipes mobiles de sécurité dans « les académies les plus exposées à la violence » et « redonner du sens aux sanctions scolaires ». Autre annonce gadget, la création d'un programme baptisé CLAIR, comme Collèges et Lycées pour l'Ambition, l'Innovation et la REussite. On ne recule devant rien en Sarkofrance. Une centaine d'établissements « concentrant le plus de difficultés » seront encouragés à mener des expériences pédagogiques, sous la responsabilité d'un «préfet des études». Côté moyens, rien de neuf. 40 000 postes ont été supprimés en trois ans, et on attend encore 20 000 suppressions de postes l'an prochain.
La politique malthusienne du gouvernement frappe aussi les crèches. Un futur décret prévoit d’assouplir les règles d’encadrement des enfants, en autorisant les dépassements du taux d’occupation des crèches à hauteur de 20% et en abaissant la proportion minimale de personnel qualifié de 50 à 40% dans les crèches. Sarkozy avait promis 200 000 nouvelles places. Mais sans moyens supplémentaires… Le gouvernement veut surcharger les équipements existants. Beau programme ! Deux tiers des parents se débrouillent déjà sans recourir aux crèches. Les assistantes maternelles ont été autorisées à accueillir 4 enfants de moins de 3 ans (contre 3 auparavant).
Le débat fiscal dérape.
On persiste à parler fiscalité. A droite, des voix se font péniblement entendre pour défendre le statu quo fiscal, et le fameux bouclier éponyme cher au Président. On tente d’allumer des contre-feux. Frédéric Lefebvre parle d’un bouclier social de 14 milliards d’euros annuels, dont 9 milliards d’euros pour le RSA. Il raconte n’importe quoi. Le RSA ne coûte que 1,5 milliards d’euros, … et les bénéficiaires du bouclier fiscal en sont exonérés. Christian Estrosi, jamais à l’abri d’une outrance, nous ressort l’inusable mensonge sur le bouclier fiscal allemand (qui n’existe que dans l’imagination de Sarkozy). Christine Lagarde tente de convaincre que le bouclier est une affaire de justice, car «Travailler un jour sur deux pour l’Etat, c’est déjà bien.» Oui, c’est « bien ». Mais ce n’est pas le sujet. Le bouclier permet avant tout d’exonérer les gros patrimoines : les revenus du travail, rappelons-le, ne sont jamais imposés à plus de 50%.
Fillon lâche, jeudi au Sénat, qu’il veut bien qu’on évalue l’efficacité des niches fiscales, ou qu’on prévoit leur plafonnement global lors de la prochaine loi de finances. La France compterait 500 niches fiscales, pour un coût annuel de 74 milliards d'euros. La Cour des Comptes les chiffrait à 146 milliards d'euros en 2008. Qui dit vrai ? Le quotidien la Tribune s'est amusé à répertorié les niches fiscales les plus folles: la plus chère a été créée par ... Jean-François Copé. La taxation à taux réduit des plus-values de cession de titres des entreprises a coûté 20 milliards d'euros en deux ans (2008 et 2009). La suivante sur la liste est la réduction de TVA (de 19,6% à 5,5%) pour les travaux d'amélioration et de transformation des logements anciens accordé en 1999 sous le gouvernement Jospin (5,15 milliards d'euros aux finances publiques en 2010 pour 300.000 entreprises bénéficiaire). Les deux niches qui bénéficient au plus grand nombre de contribuables sont l'abattement de 10% sur le montant des pensions (y compris alimentaires) et des retraites (coût de 2,67 milliards d'euros), et la prime pour l'emploi (8,9 millions de contribuables éligibles). On attend surtout avec impatience l'évaluation du tout dernier cadeau de TVA à la restauration. 3 milliards d'euros pour ... 50 000 emplois maintenus. 60 000 euros l'emploi sauvegardé... Belle performance ! En 2009, dixit la Cour des Comptes, le gouvernement Sarkozy a plombé de 6 milliards d'euros d'exonérations fiscales supplémentaires le budget de l'Etat en 2009, soit 0,3 points de PIB.
La commission des finances de l’Assemblée a auditionné le nouveau ministre du budget François Baroin. Marianne2 publie la note de Bercy qui détaille la répartition des heureux bénéficiaires du bouclier fiscal en 2009. Les 979 bénéficiaires les plus riches ont récupéré 363 millions d'euros. Pire, 14 miraculés ont réussi à n’afficher que 3428 euros de revenus annuels du travail, mais un patrimoine supérieur à ... 16 millions d’euros. Qui sont ces fameux « pauvres riches » ?
Le débat sur la fiscalité ne fait que commencer. Le déficit public est passé de 3,4 % du PIB en 2008 à environ 8 % en 2009; il est encore prévu à 10% en 2010. La croissance française ralentit, alors qu'elle rebondit partout ailleurs : au second trimestre, sur douze mois glissants, le PIB progresse de 2,3% au Japon et aux Etats-Unis, de +3,1% au Royaume Uni, de +2,8% en Allemagne et d'un misérable +1,7% en France.
Le débat sur les retraites patine.
A droite, on tente de se convaincre que le débat sur les retraites permettra de taire les critiques. L’avenir des retraites est un sujet anxiogène. Il inquiète les vieux comme les jeunes. Et faire peur est la meilleure parade pour un pouvoir sous pression. Mais Nicolas Sarkozy marche là encore sur des œufs. Il pensait qu’il pourrait orienter le débat vers l’inutile question de l’âge de départ à la retraite. On sait qu’il faut déjà cotiser 42 ans pour partir avec des pensions à taux plein. Vendredi, Xavier Bertrand rappelait le nouveau crédo de l’UMP : pas touche au niveau des pensions. Il faudra donc élargir les sources de financements. Les protégés du bouclier fiscal seront-ils mis à contribution ? A l’UMP, on se tait. Bertrand promet une « convention » sur le sujet le 19 mai prochain. La tactique est limpide : faire trainer le débat jusqu’à l’été… et les vacances. Jeudi, un appel de 370 personnalités en tous genres, chercheurs, experts et journalistes est publié par ATTAC et la Fondation Copernic. Les signataires attaquent les prochaines recommandations du Conseil d'Orientation des Retraites et le silence gouvernemental. Ils recommandent surtout un élargissement des sources de financement. Au sein du gouvernement, on se cache. A chaque intervention publique d'un ténor de l'UMP, on lui demande ce qu'il pense de la future réforme. A chaque fois, il botte en touche.
Jeudi, la nouvelle est incroyable: le Monarque envisagerait un « prélèvement spécifique sur une catégorie de la population » pour financer les retraites. Tous les journaux reprennent la même formule. Pas un n'oublie de mentionner l'expéditive confession, la même courte phrase, même pas une déclaration, une simple confession d'un proche: Il est comme ça, Nicolas. Il hurle sa détermination volontariste à coups de "je veux, je vais", mais quand il faut annoncer un recul, il masque, cache, expédie ledit recul par la voix de son «entourage». Habituellement, on appelle cela de la couardise. Sur le bouclier fiscal, le vrai-faux recul est arrivé ainsi, jeudi quelque part près du Mémorial des Glières, les pieds dans la neige, par un proche de l'entourage.
Il y avait d'autres sujets cette semaine, importants pour la France comme l'avenir menacé de la loi sur le Grenelle de l'Environnement. Mais ils sont balayés par la fébrilité de Nicolas Sarkozy. L'agenda n'est toujours pas tenu. Il a suffit d'une rumeur sur quelques escapades privés pour que l'action présidentielle déraille à nouveau. Le Monarque peut toujours se faire photographier à Glières. En 1943, les résistants jouaient leur vie. En 2010, notre président s'amuse avec la nôtre.
Ami sarkozyste, où es-tu ?