Magazine Culture
Ce qui est bien avec les films biographiques c'est que l'on tue les temps morts pour n'en raconter que certains moments.
Et quand la vie de l'artiste est spectaculaire le film ne s'en porte que mieux.
Quand il est inspirant et signé par un réalisateur et des interprêtes inspirés...waaahhh! c'est la totale.
Gainsbourg (Vie Héroïque) c'est tout ça.
Avec un casting extraordinaire (outre Phillipe Katherine en Boris Vian, trop gros, trop chevelu, la voix trop haute) le bédéiste Joann Sfar réalise un film giganstesque. Un film à la hauteur de l'homme compliqué qu'était Gainsbourg.
Encore fois dès le générique on respecte le spectateur avec une oeuvre d'art plus près du coup de crayon de Sfar que du talent de Gainsbourg. Mais tout de suite après, on fait place au géant en devenir. En passant de son enfance déjà frondeuse au compositeur inspiré par la beauté des sons et des femmes pour finir avec le monstre de la fin de sa vie, le spectateur est trainé de grande scènes à plus grandes scènes encore. On se surprend à sourire largement de scènes absolument réussies. La scène de la classe qui devient une révélation musicale pour Gainsbourg, l'apparition des démons de sa gueule, Brigitte Bardot la muse sont autant de scènes qui nous donnent soudainement l'envie de se lever et d'applaudir comme un otarie.
Et Eric Elmosnino est tout simplement terrifiant. Dans certains plans il faut littéralement se pincer pour ne pas penser que nous sommes face au vrai Serge Gainsbourg. Il ne l'incarne pas il le devient carrément. Nous naviguons au travers des corridors de la création main dans la main avec l'homme à la tête de chou. Il y a un côté tout a fait hanté dans ce film. Pas de Silverghost de 1910 mais des fantômes comme Lucy Gordon, parfaite dans le rôle de Jane Birkin mais qui s'est pendue en mai 2009; Les Frères Jacques cabotins circa Poinçonneurs de Lilas et Bambou dont la folie et les multiples tentatives de suicide ont été judicieusement évitées.
Et la musique. Aaaaaaah la grandiose musique! On a droit à un mélange de Je Bois de Boris Vian et Intoxicated Man. On entend aussi Gainsbourg/Elmosnino chanter Aznavour à Juliette Greco/Anna Mouglalis avant de lui offrir la parfaite Javanaise. George Brassens est joué et interprété à la guitare par le réalisateur lui-même, Joann Sfar et une version fauve, instrumentale et fortement sexuelle de L'Eau à la Bouche nous est aussi offerte.
Si France Gall(Sara Forestier) est plus ou moins convaincante, feu Lucy Gordon est saisissante en Jane Birkin. Claude Chabrol fait une brève incursion en producteur outré de Je T'aime... Moi Non Plus. Je suis relativement content que l'on ai résisté à l'envie de personnifier François Hardy(pour qui il a écrit Comment Te Dire Adieu et L'Anamour) dont la beauté est à mon avis inégalable. (C'est un point de vue tout ce qu'il y a de plus personnel)
Ce film est une fascinante "ride" jouissive dans les élans excessifs d'un grand créateur, dans le karma enfumée de cet incorrigible fumeur, dans la tête de cet homme convaincu de son extrême laideur qui a conquis les femmes les plus belles comme un affront à ses propres préjugés sur lui-même. Le petit animal bléssé de l'enfance/adolescence aura tenté de se guérir à sa façon toute sa vie, voilà qui explique peut-être certains comportments plus près de la bête que de l'homme.
Avec comme héritage à la clé un testament musical inoubliable et immortel.
La vie est une esquisse, un brouillon que l'on rédige longtemps avec ses essais, ses erreurs, ses bons coups et ses ratées.
On aura pas deux chances de la vivre. Gainsbourg aura capitalisé sur chaque moment autant que se peut.
Le formidable film de la vie cet homme unique est une aventure dans les murs d'enceinte du labyrinthe s'entrouvant sur l'infini.
C'est un chef-d'oeuvre.