La décentralisation, le Futuroscope, le département de la Vienne et le Sénat : tels furent les dadas d’un homme politique français très atypique qui a mélangé tradition républicaine modérée et modernisme technologique entrepreneurial. Deuxième partie.
Dans le premier article consacré à René Monory, j'évoquais son origine et sa montée politique dans la "cour
des grands". Grandeur et décadence.
Coup de poignard dans les couloirs feutrés
Si sa réélection ne fut qu’une formalité le 2 octobre 1995 malgré la défection de trente-neuf sénateurs de la majorité sénatoriale, René Monory
voulait accomplir un troisième mandat à la tête du Sénat mais il fut victime, à son tour, de la "pohérisation" de sa fonction d’autant plus que le groupe RPR ne cessait de se rééquilibrer en
défaveur des sénateurs UDF.
Malgré son élan de modernisation, l’âge de René Monory l’avait considérablement fragilisé tant physiquement que politiquement. Son hommage à Maurice
Schumann, mort le 9 février 1998, fut un véritable calvaire d’élocution. L’image qu’il présentait du Sénat s’était effectivement "pohérisée" malgré lui.
Quelques mois avant l’élection, René Monory se croyait incontournable et n’imaginait pas qu’on pût le défier. Son ami Jacques Chirac resta pourtant
neutre dès qu’apparut la candidature du sénateur RPR des Vosges Christian
Poncelet alors qu’une nouvelle génération de sénateurs sous la houlette de Jean Arthuis commencèrent à se réunir pour réfléchir sur le fonctionnement du Sénat.
Le 16 juin 1998, René Monory déclara à la télévision (FR3) avec bluff : « Tous les
présidents de groupe de la majorité RPR-UDF m’ont demandé de me représenter ». Mais il fut démenti par le patron des sénateurs RPR
Josselin de Rohan et celui des sénateurs RI Henri de Raincourt (actuellement ministre) qui préféraient attendre les résultats des élections sénatoriales avant de se prononcer.
Le 17 septembre 1998 à Bordeaux, lorsque François Bayrou succéda à François Léotard à la présidence de l’UDF, René Monory voulut se réclamer de l’union et de Jacques Chirac mais ce dernier fit annoncer qu’il ne souhaitait
« intervenir ni de près ni de loin dans l’élection du Président du Sénat » (une attitude qu’adopta aussi le Président Nicolas Sarkozy en 2008).
Pendant ce temps, Christian Poncelet continua discrètement sa campagne, évita de se dire trop gaulliste pour ne pas froisser les centristes qui
pourraient le soutenir et utilisa surtout sa position stratégique de président de la Commission des finances du Sénat d’où il pouvait utiliser la "réserve parlementaire" en pratiquant du
clientélisme. À la buvette du Sénat, juste avant le vote, Christian Poncelet répondait même en rigolant aux sénateurs venus le rejoindre : « Je n’ai plus d’argent. J’ai tout donné ! »
Le 1er octobre 1998, René Monory fut devancé de seize voix par Christian Poncelet au premier tour.
C’est Jean-Pierre Raffarin qui lui annonça les résultats : lui cent deux voix, son rival RPR cent dix-huit, soit dix-neuf de plus que le nombre de sénateurs RPR. Dix-neuf "traîtres", surtout
dans les rangs des Républicains indépendants (libéraux).
Les centristes et les RI demandèrent de nombreuses suspensions de séance pour préparer le second tour. On peut relire avec intérêt le
compte-rendu des débats ici.
Pour René Monory, la messe était dite : il jeta l’éponge et se désista en faveur du centriste Daniel Hoeffel (69 ans), désigné candidat UDF pour
le deuxième tour avec cinquante et une voix contre Henri de Raincourt (RI) quarante-neuf. Malgré la présence de François Bayrou (président de l’UDF), Hoeffel fut devancé par Poncelet de toujours
seize voix. Philippe Séguin (président du RPR) était lui aussi venu mobiliser les sénateurs RPR.
Christian Poncelet fut finalement élu Président du Sénat au troisième tour. Étrangement, lui aussi était autodidacte et sans diplôme. Lui aussi
ouvrit le Sénat aux forces vives de la nation (aux entreprises, à l’innovation, aux laboratoires de recherche etc.) mais lui aussi se "pohérisa" quelques années plus tard.
Dix ans plus tard, le 24 septembre
2008, l’un des héritiers politiques de René Monory, l’ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin, échoua face au gaulliste Gérard
Larcher dans sa tentative de redonner au centre droit la Présidence du Sénat.
Une retraite bien méritée
Dans un bilan de session qu’il prononça le 25 juin 1998, René Monory avait invité le gouvernement à réfléchir sur « l’association de ces trois mots : mondialisation, exclusion, formation ». Après
avoir clos la session quelques jours après, René Monory ne fit plus aucune intervention publique au Sénat (il resta sénateur jusqu’en 2004 et ne participa qu’aux votes des lois).
2004 fut l’année de sa retraite politique : « J’ai décidé d’arrêter. J’ai atteint
le maximum. ». Il ne renouvela aucun de ses mandats de conseiller général et de sénateur (il avait quitté la mairie de Loudun en
1999).
En tout, René Monory a cumulé quarante-huit ans conseiller municipal de Loudun (dont quarante ans maire), quarante-trois ans
conseiller général de la Vienne (dont vingt-sept ans président du Conseil général), trente ans sénateur (dont six ans Président du Sénat), seize ans conseiller régional (dont un an président du Conseil régional) et
six ans ministre (Industrie, Finances et Éducation), soit une vie politique
de… cent quarante-trois ans de mandats (dont quatre-vingts ans
d’exécutif) !
Dans le troisième et dernier article consacré à René Monory, les principales réactions à l'annonce de sa
disparition.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (9 avril 2010)
Pour aller plus loin :
Dépêches sur la
disparition de René Monory.
Élection du Président du Sénat
(séance du 1er octobre 1998).
Alain Poher
(1968-1992).
Christian Poncelet
(1998-2008).
Gérard Larcher
(depuis 2008).
L’élection des
Présidents du Sénat.
Plus d’informations sur le
Sénat.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/rene-monory-le-bon-sens-de-la-73097
http://www.lepost.fr/article/2010/04/09/2025734_rene-monory-le-bon-sens-de-la-france-d-en-bas-au-sommet-de-l-etat-2.html
http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-171
http://www.centpapiers.com/rene-monory-le-bon-sens-de-la-france-d%e2%80%99en-bas-au-sommet-de-l%e2%80%99etat-2/12382/