Pulvérisation, éclatement d’images, de mots. Un dragon menaçant scintille dans les eaux basses du port. La Mergellina encore. Naples se donne ici des airs d’ île grecque placide, recroquevillée au milieu de la grande mer. Procida... Envie de courir, jouer, lever les yeux, les bras au ciel. Je suis incapable de rentrer ce soir, j’ai plutôt envie de traverser la ville, comme Dumas dans son corricolo, virevoltant. Loué une calèche Riviera di Chiaia, et vogue la galère ! J’ai donné au guide tout ce que j’avais, joué les touristes naïfs, me moque du monde entier, voudrais embrasser l’air que je respire, la mer qui frémit à côté, les gens que je croise. Voilà le Palais Royal, insolent, lugubre, le San Carlo, brillantissime, l’ombre de Stendhal bien sûr, Via Toledo, un concert de lumières, de cris, chatoiement de feu, enfin la montée vers San Martino.
Là, mon cicérone m’abandonne. J’ai envie de rire, lui dit qu’il peut bien partir. Il trouvera d’autres touristes à ramener ou peut-être vit-il là, ou n’est-il qu’un gnome, ou le diable, peu importe !
Enfin seul, je laisse mes yeux respirer, se brûler aux lumières de la ville, du port, des îles. J’aimerais que tout s’arrête, mon bonheur est parfait, c’est l’instant où tout se concentre, juste avant le Big Bang. La mer frissonne, donne des baisers au vent, au ciel, une langue de feu lèche l’horizon.
Raymond Alcovère, extrait de "Fugue baroque", éditions n & b, 1998
Peinture de Frédérique Azaïs-Ferri