La décentralisation, le Futuroscope, le département de la Vienne et le Sénat : tels furent les dadas d’un homme politique français très atypique qui a mélangé tradition républicaine modérée et modernisme technologique entrepreneurial. Première partie.
Très malade depuis son hospitalisation du 3 août 2008 (à tel point que certaines rumeurs le
disaient sur le point de décéder), René Monory avait tenu une place très particulière dans le paysage politique français. Comme Pierre Bérégovoy, il ne faisait pas partie de l’élite
intellectuelle du pays. Il n’a fait aucune des grandes écoles du mérite républicain (ENA, X, Normale Sup, Science Po, HEC etc.) mais n’a jamais perdu son bon sens paysan. Il s’en vantait
même.
Pour ceux qui ont eu la chance de l’approcher, René Monory était une personne plutôt avare de ses mots, surtout à l’écoute. Son élocution lente et
cahoteuse (qui pouvait faire penser à celle de Gaston Defferre), ses sourcils sévères, son visage de Michel Galabru et sa corpulence faite d’un seul roc ne devaient cependant pas faire perdre à l’esprit qu’il a été parmi les
rares hommes politiques à avoir entrepris avec succès et à s’être débarrassé des "moules de la pensée unique". Une indépendance d’esprit qui pourrait faire penser à Philippe Séguin, aujourd’hui disparu.
Autodidacte entre ouvrier et chef d’entreprise
Né le 6 juin 1923, René Monory a souvent été représenté comme "le garagiste de Loudun". Ce qui est un peu vrai et un peu faux. Il a hérité du garage
paternel qui est devenu, grâce à lui, une prospère concession d’automobiles et de machines agricoles.
Apprenti à 15 ans, René Monory devenait propriétaire de son garage à 25 ans : « Pour les bourgeois, j’étais encore un ouvrier. Pour les ouvriers, j’étais devenu un bourgeois. »
Notable local et élu national
Besoin de reconnaissance ? C’est comme notable qu’il est élu conseiller municipal en mars 1953 puis maire de Loudun à 35 ans en mars 1959, et
conseiller général en mars 1961. Il accumula les mandats locaux. Il créa et présida pendant presque trente ans la communauté de communes de Loudun et initia le premier jumelage nord-sud en
associant Loudun à Ouagadougou. Il devint président du Conseil général de la Vienne en 1977 (jusqu’en 2004) et fut même furtivement président du Conseil régional de Poitou-Charentes (de 1985 à
1986), poste qui fut ensuite occupé par Jean-Pierre Raffarin puis
Ségolène Royal.
Dans la continuité de sa "carrière" d’élu local, il fut le suppléant du député-maire centriste de Châtellerault Pierre Abelin (en 1962 puis 1967) et
fut élu sénateur le 22 septembre 1968 en battant un sénateur sortant. Quelques jours après, Alain Poher devenait Président du Sénat.
Dans sa profession de foi sénatoriale, René Monory insistait déjà sur l’adaptation du pays aux mutations économiques, la nécessaire décentralisation et la promotion du Sénat comme institution
législative au contact avec les collectivités locales (De Gaulle ayant
préparé un projet réformant complètement le Sénat et faisant l’objet du
référendum de 1969).
Si son engagement partisan était très feutré, il faisait toutefois partie de grands barons du Centre des démocrates sociaux et de l’UDF, sans doute
par tradition et fidélité à son parrain politique, Pierre Abelin, ancien ministre, homme politique important de la Vienne à la mort duquel il avait succédé à la tête du département (et père de
l’actuel député-maire centriste de Châtellerault Jean-Pierre Abelin). Il était centriste aussi pour son attachement à l’Europe, à la décentralisation et à l’aménagement du territoire.
Ministre de Raymond Barre
C’est en tant que rapporteur général du budget au Sénat (souvent sévère dans ses analyses) qu’il fut remarqué par
Parmi les "actions" mémorables de René Monory rue de Rivoli, on peut citer la création des sicav Monory qui fut les premiers produits financiers
d’épargne de ce type accessibles au grand public et un levier pour le financement des entreprises.
L’autre décision clef de René Monory au Ministère de l’Économie fut la libéralisation des prix, qu’il parvint à imposer avec pérennité.
Il a par ailleurs négocié avec brio avec des employés d’EDF en grève (à l’époque, les grèves engendraient de longues coupures d’électricité chez les
particuliers).
Un des leaders politiques qui comptent
Réélu sénateur en juillet 1981 et siégeant désormais dans l’opposition au gouvernement socialo-communiste, René Monory combattit sans relâche les
nationalisations et la politique budgétaire déficitaire de Pierre Mauroy. Il se comporta comme l’un des leaders de centre droit les plus écoutés de l’opposition et refusa catégoriquement toute
alliance avec le Front national.
Avant mars 1986, alors que les socialistes n’envisageaient que leur défaite aux législatives et que la cohabitation pointait son nez, René Monory
faisait partie des premiers ministrables au même titre que Valéry Giscard
d’Estaing (dans le cas où l’UDF aurait plus de députés que le RPR), Alain Peyrefitte, Jacques Chaban-Delmas et bien sûr Jacques Chirac (dans le cas contraire).
Ministre de Jacques Chirac
Finalement, le 20 mars 1986, René Monory fut nommé Ministre de l’Éducation nationale dans le gouvernement de cohabitation de Jacques Chirac (jusqu’au
10 mai 1988). Lors des manifestations étudiantes contre la loi Devaquet (du nom de son Ministre délégué aux Universités Alain Devaquet), il était partisan avec Édouard Balladur (Finances) de la position "dure", celle de ne pas céder à la
rue, au contraire de Charles Pasqua (Intérieur), de François Léotard
(Culture) et d’Alain Devaquet lui-même qui estimaient que la réforme devait être politiquement abandonnée. La mort tragique de Malik Oussekine le 6 décembre 1986 donna un point final à la
première tentative de réforme des universités.
Futuroscope, un projet au présent
L’Éducation nationale fut sa dernière mission gouvernementale. Il se consacra alors personnellement, en tant que
Le Futuroscope (inauguré le 31 mai 1987 par Jacques Chirac) était son véritable "bébé" dont il était très fier avec ses presque quarante millions de
visiteurs jusqu’en 2009. Il en a profité également pour promouvoir dans son département Internet et l’informatique en général, voulant donner aux enfants du primaire les moyens matériels de
l’apprentissage de ces nouvelles technologies. Il fréquenta de nombreux pôles de haute technologie à l’étranger, en Californie (la Silicon Valley), en Chine, au Japon, en Corée du Sud, et s’afficha même avec Bill Gates le 5 février
1997 : « René Monory ? c’est la IIIe République plus les logiciels » ! D’autres maires l’imiteront dans cette passion de l’informatique et des télécommunications, notamment Jean-Marie Rausch à Metz et André Santini à Issy-les-Moulineaux.
Sénateur avant tout
Réélu sénateur en septembre 1988, René Monory fut un opposant intransigeant aux gouvernements socialistes de Michel Rocard puis d’Édith Cresson élue maire de Châtellerault (de 1983 à
1997).
En fin septembre 1989, alors qu’Alain
Poher était vieillissant, ses amis centristes lui cherchèrent un successeur au plateau. Jean Arthuis osa défier au premier
tour le Président sortant du Sénat, et René Monory au second tour, mais Alain Poher fut réélu au troisième tour grâce au soutien intéressé de Charles Pasqua et de son groupe RPR dans l’optique de la prochaine
élection.
L’élection suivante, justement, le 1er octobre 1992, dix jours après le référendum sur le Traité de Maatricht, le poste de Président du Sénat était désormais ouvertement à pourvoir. Bien que séparés en trois groupes, les sénateurs de l’UDF organisèrent en
leur sein une primaire entre René Monory (CDS/Union centriste), Pierre-Christian
Taittinger (PR/Républicain indépendant) et Daniel Hoeffel (CDS/UC). René Monory l’emporta au second tour sur Pierre-Christian Taittinger. Puis l’emporta au moment fatidique de
l’élection sur Charles Pasqua dont les troupes RPR étaient encore trop peu nombreuses.
Le 2 octobre 1992, René Monory fut donc élu Président du Sénat à l’âge de 69 ans. Il remplaça un homme de 83
Modernisateur, il l’a été sans aucun doute en ouvrant le site Internet du Sénat en octobre 1995 qui donne un accès immédiat aux citoyens à
tous les documents parlementaires. René Monory fut aussi à l’origine de l’ouverture du Sénat sur le "monde réel" (économie, recherche, social, jeunesse etc.) avec de nombreuses manifestations,
ouverture poursuivie par son successeur Christian Poncelet. C’est aussi
lui qui imagina avec Philippe Séguin, Président de l’Assemblée
Nationale, une chaîne de télévision parlementaire.
L’automne 1994 fut pour les Français, et plus particulièrement pour René Monory, celui de toutes les rumeurs : la santé du Président François
Mitterrand était de plus en plus fragile et le Premier Ministre Édouard Balladur se préparait déjà à une élection présidentielle anticipée tandis que René Monory s’imaginait devoir assurer
l’intérim de la Présidence de la République.
À cette occasion, le bon sens de
René Monory a pu être testé.
Dans le deuxième article consacré à René Monory, crime et châtiment dans les couloirs feutrés... avant le troisième et dernier article, requiem.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (9 avril 2010)
Pour aller plus loin :
Dépêches sur la
disparition de René Monory.
Élection du Président du Sénat
(séance du 1er octobre 1998).
Alain Poher
(1968-1992).
Christian Poncelet
(1998-2008).
Gérard Larcher
(depuis 2008).
L’élection des
Présidents du Sénat.
Plus d’informations sur le
Sénat.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/rene-monory-le-bon-sens-de-la-73094
http://www.lepost.fr/article/2010/04/09/2025724_rene-monory-le-bon-sens-de-la-france-d-en-bas-au-sommet-de-l-etat-1.html
http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-169
http://www.centpapiers.com/rene-monory-le-bon-sens-de-la-france-d%e2%80%99en-bas-au-sommet-de-l%e2%80%99etat-1/12380/