Il est un peu tôt pour tirer un bilan des réformes de Nicolas Sarkozy, mais dans ce moment un peu particulier où l'on voit sa majorité détricoter ce qu'il a entrepris (ce qui, soit dit en passant est une première. C'est la droite qui avait entrepris de défaire les réformes du premier septennat de François Mitterrand, pas la gauche), on peut se demander ce qu'il en restera. Probablement pas grand chose.
Non qu'il soit impossible de réformer la France, comme ceux qui échouent à le faire ont si facilement tendance à l'affirmer. Il suffit de regarder autour de nous. Michel Rocard, Martine Aubry et même Nicolas Sarkozy ont réussi quelques réformes. Je pense aux 35 heures. Il fallait du courage, de l'audace et du talent pour amener les entreprises à modifier si profondément leur organisation. Martine Aubry a su le faire en mêlant fermeté, habileté (les entreprises qui anticipaient le passage aux 35 heures bénéficiaient de baisses de leurs cotisations sociales) et intelligence pratique : c'était aux partenaires sociaux de négocier dans les entreprises, là où les questions se posent. Je pense également aux mesures prises pour lutter contre la vitesse sur la route, mesures efficaces que l'on peut attribuer à Nicolas Sarkozy. Il a su, là, concilier, fermeté (des sanctions pour les contrevenants) et une politique de communication qui a su convaincre les automobilistes, même les plus réticents, de la nécessité de lutter contre la vitesse. Je pense encore à la manière dont Michel Rocard a su inventer et mettre en place la CSG en conciliant le sens de la justice et le renvoi à plus tard de ce que cette réforme pouvait avoir de douloureux. Mais des réformes récentes (de la culture des résultats dans la police à la taxe carbone en passant par la réforme territoriale), il ne restera sans doute à peu près rien. Seules échapperont peut-être au désastre, la réforme des universités parce qu'elle répond à une attente d'une partie des acteurs et leur donne une certaine autonomie, l'introduction de la diversité au gouvernement qui s'est faire de manière brouillonne mais sur laquelle il sera difficile de revenir, et l'ouverture : autant les nominations de gens venus de la gauche au gouvernement étaient absurdes, autant la nomination à des postes de responsabilité (Cour des Comptes…) de gens venus de l'opposition est, dans une démocratie, le minimum.Pourquoi, donc, tant d'échecs alors que Nicolas Sarkozy avait une majorité politique et une opinion plutôt favorable au changement. Trois facteurs expliquent, je crois, ses échecs :- la confusion entre l'action et la législation. Il ne suffit pas de voter des lois pour que celles-ci soient appliquées. Il faut réfléchir à la manière de les mettre en oeuvre et susciter l'adhésion chez ceux qui seront amenés à les appliquer au quotidien. C'est sans doute ce qui fera le succès de la réforme de l'Université : les Présidents et leurs conseils d'administration ont commencé de prendre les choses en main. C'est ce qui n'a pas été fait pour les autres réformes. L'une des raisons de l'échec de Sarkozy est son instrumentalisation du Parlement. La loi sur la burqa en est un nouvel exemple : à quoi bon faire voter une loi dont chacun sait bien qu'elle sera inapplicable?- le sentiment d'injustice. Il n'y a pas de réforme qui ne se fasse au dépens de quelques uns. Encore faut-il que ceux-là acceptent les sacrifices qu'on leur demande. Ils les acceptent d'autant plus volontiers qu'ils sont plus isolés et plus convaincus, comme citoyens, de la nécessité de changer. Une réforme n'a de chance d'aboutir que si elle améliore, d'une manière ou d'une autre, la situation d'une majorité. Qu'une réforme paraisse injuste et elle trouvera vite une majorité contre elle. Le bouclier fiscal, modèle même de la mesure injuste, a fait un immense tort à la volonté de réforme de Nicolas Sarkozy ;- le trop plein. Nicolas Sarkozy avait théorisé sa volonté d'agir vite et de tout réformer à la fois. Il a ouvert tant de chantiers que tout se retourne aujourd'hui contre lui. Plutôt que de bâtir les réformes à venir sur des succès, comme semble en passe de le faire Barack Obama, il a pris le risque de voir se coaguler les oppositions, un seul échec dans un domaine suffisant à renforcer les opposants à ses projets dans tous les autres. De tous ces échecs, c'est le ratage de l'introduction de la culture du résultat dans la police qui me parait le plus gênant. Tout simplement parce qu'il va rendre plus difficile l'introduction dans la fonction publique de méthodes de management modernes nécessaires pour introduire de nouvelles réformes. Tout partait pourtant d'une bonne idée : il faut pouvoir mesurer le travail des fonctionnaires comme on mesure celui des salariés du privé. A ceci près qu'il aurait fallu regarder d'un peu plus près les difficultés du secteur privé en la matière et la spécificité du secteur public qui échappe à la concurrence. C'est là-dessus qu'il aurait fallu travailler, non pas pour mettre en concurrence des commissariats ou des lycées, ce qui n'a pas beaucoup de sens, mais pour donner à leurs responsables des éléments pour se comparer et s'améliorer mutuellement. Il aurait fallu se souvenir que les entreprises qui sont en concurrence savent aussi se rapprocher pour partager leurs meilleures pratiques. Des comparaisons entre commissariats ou lycées auraient permis à leurs responsables d'aller piocher chez leurs collègues ce qu'ils font de mieux. En lieu et place de cela (que l'on aurait pu mettre en oeuvre de différentes manières) on a fixé des objectifs chiffrés, comme si les fonctionnaires étaient des commerciaux.