La voix hésitante, mon interlocuteur – C. F., un habitué de la Cinémathèque – engage la discussion : « Sur le ciné-club, le lundi, il y a de la part de Douchet, une tendance à revenir trop souvent sur le sujet, à être superficiel, et finalement, à ne plus parler de cinéma… » Je réponds :
- C’est l’oralité – et ce n’est pas tout à fait vrai non plus.
- Ce qui je lui reproche, c’est de rester trop longuement sur le sujet, d’être trop superficiel. Pour des spectateurs qui viennent de voir le film – et qui viennent peu souvent –, de l’entendre répéter ce qu’ils viennent tout juste de voir, c’est gênant : il y a une redondance… inutile. C’est dommage. Il me déçoit.
- Vous savez, de grands textes sur le cinéma, il y en a un paquet – dont certains dont il est l’auteur ! Il a écrit quelques ouvrages – que beaucoup n’ont pas lu ! Mais, c’est vrai qu’il pourrait être « meilleur ». Pourtant, déjà ce qu’il fait là, peu de gens sont capables de le faire ! Et puis, il y a plusieurs types de spectateurs ; c’est un échange avec l’ensemble de l’auditoire : des connaisseurs, et des non-spécialistes. Ceux qui découvrent le film, ceux qui le voient pour la troisième ou cinquième fois, ceux qui n’ont pas l’habitude du ciné-club, ou encore ceux qui n’ont pas été très attentifs. Vous ne pouvez pas lui reprocher de s’adresser à tout le monde : du plus calé aux moins habitués. C’est un problème d’interlocuteurs.
- Oui, c’est un problème d’interlocuteurs. Mais, parfois, il y a de bons interlocuteurs, à qui il…
- Mais, aussi, de très mauvais ! Sans compter ceux qui font, je le dirais comme ça : du « sabotage » – qui savent qu’ils ne vont rien dire, mais qui sont là uniquement pour prendre le micro, pour se donner l’impression d’exister !
- Non, il n’y en a pas…
- Je vous assure que si ! Et donc, il tient aussi compte de ce type d’interlocuteurs.
- Il est superficiel, et il a tendance à trop s’écouter parler. Il est mondain…
- L’autre fois, sur le « Hou Hsiao-hsien » – Three times
– je vous ai entendu dire, je crois, qu’il aurait pu remercier l’intervenant vietnamien ou quoi, qui avait apporté des précisions culturelles sur Taïwan et le film…
- Oui. Cet intervenant chinois, ou autre…
- Disons, asiatique…
- …il a mieux parlé du film, que lui ne l’a fait, et il ne l’a pas remercié !
- Au moins là, vous ne pouvez pas lui reprocher de faire des politesses !
- Pourtant, j’ai eu l’occasion de l’entendre dans des émissions à la radio – et c’était plutôt bien : c’était écrit, et beaucoup plus préparé ! A chaque séance, il pourrait venir au moins avec une introduction…
- C’est ce que je vous dis, on est dans l’oralité ! C’est un exercice extrêmement difficile : parler d’un film, à un auditoire hétérogène, et d’une façon totalement improvisée. Très peu sont capables de le faire. Prenez tous les critiques sur le marché, et vous verrez que très peu tiennent la distance ; pour ne pas dire « la route ». Même des gens que j’aime bien, évitent l’exercice, ou ne s’en sortent pas toujours très bien. Quelqu’un comme Tesson – que j’apprécie beaucoup –, il est bon à l’écrit, mais il n’excelle pas à l’oral. Et il n’excelle pas toujours à l’écrit, mais, c’est encore autre chose. Vous-même, avec tous vos reproches – qui ne sont pas totalement infondées –, je ne suis pas sûr que vous le puissiez…
- Moi ? Euh, non ! Ce n’est pas ma spécialité… la mienne, ce sont les sciences sociales.
- C’est bien ce que je disais. Mais, allons plus loin. Vous connaissez Trafic ?
- Non…
- La revue Trafic ?
- Euh, j’en ai entendu parler, mais je ne l’ai jamais vraiment lue…
- Bon. C’est intéressant. Je vous entends formuler ces reproches, alors que vous ne lisez pas cette revue…
- C’est de la théorie, je crois…
- Oui, mais peu importe.
- On pourrait un jour reprendre les articles un à un, et les confronter – ce serait quelque chose à faire…
- Dans cette revue-là, il y a au bas mot une bonne cinquantaine de contributeurs réguliers. Et je crois qu’aucun d’entre eux n’est capable de se sortir aussi avantageusement de cet exercice.
- A l’époque, il y avait Christian Metz, qui développait ses théories sur le cinéma. Dans les années 70, on pouvait théoriser sur les films. Là, dans ce ciné-club, on ne peut pas.
- Ce n’est pas l’endroit. Douchet n’est pas un théoricien. Du moins, stricto sensu, il ne l’est pas – ce qui ne veut pas dire qu’il ne théorise pas les films ou le cinéma. Il fait de la critique ; et s’en tient à ce rôle.
- Oui, mais il finit par manquer d’audace et d’invention.
- Mais, vous savez, il n’a plus grand-chose à prouver. Il a écrit de grands livres sur le cinéma, et il est reconnu partout dans le monde, donc il n’a plus besoin de cet « audace », dont vous parlez. L’ « audace », c’est pour la jeunesse – ceux qui arrivent ! Moi, par exemple !
- Vous savez, j’ai été un temps, aussi, critique pictural. Et, lorsque je décrivais un tableau, je me permettais très peu de reprendre le sujet, de n’aborder que les thèmes. Je lui reproche de ne pas aller plus profond dans le film, de ne pas délivrer aux spectateurs sa compréhension du film.
Fin de la 1ère partie
Albin Didon