(Nîmes, 1700-Castel Gandolfo, 1777),
Louise-Anne de Bourbon (Mademoiselle de Charolais, 1695-1758)
en costume de moine de fantaisie, 1731.
Huile sur toile, 118 x 90 cm, Château de Versailles.
Tous les moyens étaient bons, dans la France de l’Ancien Régime, pour aiguillonner la foi des âmes tentées par la tiédeur religieuse et les inciter à ne pas s’écarter du troupeau des croyants. La reprise d’airs à la mode revêtus, à cette fin, d’un texte à portée spirituelle, fit florès dès la parution, en 1615 à Lyon, du recueil l’Amphion sacré, ce succès provoquant, comme souvent, une réaction qui, en usant du vaudeville, fustigea les déviances, réelles ou supposées, dont on soupçonnait le clergé depuis le Moyen-Âge. Sous le titre Parodies spirituelles et spiritualité en parodies, publié par l’excellent label Musica Ficta, la soprano Céline Scheen et l’ensemble Les Menus-Plaisirs du Roy, dirigés de l’archiluth par Jean-Luc Impe, proposent une savoureuse anthologie de ces deux pratiques.
Pour comprendre la vogue de la parodie spirituelle qui perdura au moins jusqu’à la décennie 1730, il faut revenir aux préceptes du Concile de Trente, qui, tout en condamnant l’utilisation de mélodies profanes dans la musique sacrée, à l’image des messes construites sur de timbres de chansons, parfois fort lestes, dont la pratique se répandit dès le XVe siècle, ne se priva pas d’utiliser, en en changeant les paroles à des fins édifiantes, des airs à la mode, donc immédiatement reconnaissables et chantables par un nombre important de fidèles. D’une certaine façon, l’Église se servait des armes de l’ennemi pour tenter de le vaincre en faisant des plus séduisantes d’entre elles des instruments privilégiés de son prosélytisme.
Le choix de Jean-Luc Impe s’est majoritairement porté sur des vaudevilles qui raillent les dérives, particulièrement sexuelles, que l’on prêtait au clergé. On trouvera du voyeurisme (Une jeune nonnette), du libertinage (Belle Philis, en attendant vos noces) et même une scène de masturbation (La sœur Luce) dans des textes bien troussés, aux allusions transparentes. Pour les parodies, le chef est allé puiser dans la seconde édition de la Philomèle Séraphique, se concentrant sur des adaptations d’airs de cour de François Richard (c.1580-1650), luthiste à la cour de France, « musicien et vallet de chambre ordinaire du Roy » en 1629, auteur de deux livres d’airs publiés chez Ballard en 1637, qui reprennent en fait le même répertoire, à quatre parties dans l’un et avec tablature de luth dans l’autre. Il s’agit d’une musique de grande qualité, qu’on aimerait d’ailleurs découvrir dans sa version originale, et dont on comprend mal que Georgie Durosoir ait classé, même en l’y distinguant, son auteur dans la catégorie des « petits maîtres » (L’air de cour en France 1571-1655, Liège, Mardaga, 1991, p. 294).
Parodies spirituelles et spiritualité en parodies s’impose donc comme un projet aussi intelligemment conçu que merveilleusement réalisé qui documente, avec une érudition qui ne néglige jamais le plaisir, un pan du répertoire encore méconnu mais passionnant. Quand celui du Veau d’or semble devenu l’unique culte d’ensembles réputés dont les produits n’appartiennent plus que de nom au monde de la musique ancienne, ce bijou de disque, que l’on devine longuement et amoureusement ciselé, est un remède souverain contre les nourritures frelatées qu’ils imposent à grand renfort de marketing. Je ne peux qu’espérer que les amateurs feront mentir les lois du marché en réservant à cette anthologie l’accueil chaleureux qu’elle mérite.
Parodies spirituelles et spiritualités en parodie, œuvres de Jean l’Évangéliste d’Arras (XVIIe siècle), Michel Corrette (1707-1795), et anonymes.
Céline Scheen, soprano
Les Menus-Plaisirs du Roy
Jean-Luc Impe, archiluth & direction
Extraits proposés :
1. Jean l’Évangéliste d’Arras, Surprise, ô Dieu, de Vos lumières, parodie spirituelle sur l’air Angélique dont les merveilles (1637) de François Richard (La Philomèle séraphique, 2e édition, 1640)
2. Une jeune nonnette, vaudeville anonyme (Manuscrit Weckerlin, première moitié du XVIIIe siècle)
3. Michel Corrette, Variations sur La Furstenberg (La belle vielleuse, 1783)
4. Au jardin de mon père, un nid d’oiseau y a, vaudeville anonyme (Manuscrit Weckerlin, première moitié du XVIIIe siècle)
Illustrations complémentaires :
Francis HAYMAN (Exeter, 1708-Londres, 1776), Le moine entreprenant, sans date. Huile sur toile, 60 x 51 cm, Dijon, Musée Magnin.
Les photographies de Jean-Luc Impe et Céline Scheen sont tirées du site de Musica Ficta.