Comme chacun le sait désormais, B. Obama a publié mardi 6 avril la Nuclear Posture Review (NPR), que l'on attendait depuis un certain temps.
Elle vient au cœur d'un "moment" nucléaire. En effet, après avoir réussi à faire voter sa loi sur la santé, et obtenu un succès en Afghanistan, B. Obama revient sur le terrain diplomatique : d'une part en affichant une ligne plus déterminée envers Israël; d'autre part avec une relance nucléaire, qui passe par un nouveau traité START III de réduction des armements stratégiques, signé avec la Russie, la NPR que l'on attendait depuis plusieurs semaines, enfin une conférence au sommet sur la sécurité nucléaire.
Qu'en dire de plus ?
1/ Avec Romain Lalanne (voir son excellent billet), on peut se poser la question de la réussite du pari obamien; quant à moi, je n'entrerai pas dans ces considérations qui apprécient la portée des messages. Certes, la dissuasion est d'abord affaire de mot, donc de discours, et les spécialistes regardent d'abord cet aspect là des choses. Mais savoir si la "limitation de la menace d'utilisation des armes nucléaires contre les pays non membres du TNP qui s'engageraient dans une démarche nucléaire" (ouf!) est efficace, cela semble au minimum spécieux. Bref, ce 'est pas la grande avancée qu'on veut nous faire croire.
2/ A propos du START, on peut aussi remarquer que les engagements sont de faible portée : c'est ce que dit Le Monde (ici), ce que disait V. Jauvert il y a dix mois déjà (ici, à propos du préaccord Obama Medvedev de juillet 2009). Pourtant, Romain explique qu'en dé-mirvant les têtes, il y a une réelle avancée. Je note cependant la clause de sortie russe, même si on n'est pas sûr qu'elle soit dans l'accord.
3/ alors ? encore une stratégie déclaratoire, qui recouvre finalement peu de choses? une simple magie des mots? Une sorte de gaullisme, faisant accroire des grandes choses quand elles sont, finalement, moins importantes qu'il n'y paraît ? Non, il y a un point qui me semble important : celui de la concentration de la dissuasion nucléaire contre les seules armes nucléaires. Certes, ce n'est pas la fonction "unique" (sole) de la dissuasion, mais c'est la fonction fondamentale. En clair, pas d'armes nucléaires contre des armes chimiques. Et normalement pas contre des armes biologiques, sauf si...
4/ Cette distinction est notée hier par V. Jauvert. Il affirme que cela va à l'encontre de la doctrine française. Je n'en suis pas aussi sûr que lui. Surtout, la confusion des "armes de destruction massives" m'a toujours paru dangereuse (voir mon article dans la RDN en août 2003, où je fustige cette notion d'armes de destruction massive).
5/ En effet, en laissant le nucléaire dissuader le seul nucléaire, on n'affaiblit pas le concept de dissuasion. On admet que la guerre est horrible, mais on installe un seuil, une différence de nature entre le nucléaire, qui peut détruire l'humanité, et les autres armes, aussi puissantes soient-elles. A vouloir descendre la garantie du nucléaire vers d'autres armes, on abaisse le tabou, et on rend donc le nucléaire plus employable. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la période bushiste est celle qui a le plus insisté sur les Armes de destruction massive (motif de l'invasion de l'Irak, souvenez-vous) et a été celle qui a le plus prôné l'emploi tactique d'armes nucléaires (notamment anti-bunker). L'imitation récente et peu conceptualisée de cette confusion par certains décideurs français (on pense au discours de J. Chirac) trahit une double incertitude : face à la nouvelle situation mondiale qu'on ne sait plus appréhender ; et face à l'arme nucléaire qu'on ne sait plus penser.
6/ C'est pourquoi je ne suis pas d'accord avec V. Jauvert dans son appréciation de la position française : il me semble qu'elle est revenue à des conceptions plus traditionnelles (nuc. contre nuc.), même si elles pâtissent, peut-être, de ne plus susciter de débat. Là est le vrai atout de la NPR américaine : elle vient au terme de débats longs (trop) et elle conclut en décidant.
Réf :
- sur la longueur du débat outre-atlantique : voir ce billet. Je n'ai pas vu (mais un lecteur voudra bien préciser ce point) si les Prompt Global Strike sont incluses dans la nouvelle NPR .
- sur la nécessité (dès novembre !) d'un débat en France, voir ici, et la réponse de JP Gambotti
O. Kempf