Du Valais je me rends compte que je ne connais rien, ou si peu de choses, et que je n'ai fait qu'y passer, à l'exception d'une visite à un ami qui habitait alors près de Sion, une petite maison au milieu des vignes, il y a très longtemps, pas loin de quarante ans. Je me souviens que nous nous sommes promenés avec son chien de chasse, un pointer, dans des pâturages et que, comme dans un livre d'images caricatural sur la Suisse, des vaches faisaient retentir les cloches accrochées à leurs licols.
Quelques années plus tard, il y a tout de même quelques décennies, en 1978, l'année des trois papes, je suis repassé par là. Je revenais deYougoslavie où j'avais accompli un périple de deux semaines. Lors de ce retour j'avais fait étape à Stresa, dont je garde un souvenir idyllique, sans doute parce que j'étais accompagné de ma bien-aimée et que nous avions navigué autour des îles Borromée. Du Simplon, gravi péniblement par ma petite automobile, nous étions descendus vers Brig comme dans un puits... L'été dernier, j'ai connu le même vertige en descendant du Grand Saint Bernard cette fois, après avoir emprunté le tunnel, par couardise. Je me gardais de trop lever les yeux pour regarder au-delà de ma route...
Ma seule destination rituelle et valaisanne, depuis que je suis à nouveau lausannois, est la Fondation Pierre Gianadda, à Martigny. Jusqu'à présent, à ma grande honte, je ne suis pas allé plus avant en Valais, ce qui décevrait grandement mon ami Adrien, natif de ce coin de paradis, du moins selon ses dires, à qui j'ai tu la chose jusqu'à aujourd'hui. Il me faut confesser que, quand je longe la vallée du Rhône, je me sens oppressé par les montagnes environnantes, trop abruptes à mon goût, qui est plus pyrénéen qu'alpestre. Je n'ai qu'une hâte, celle de passer rapidement mon chemin, de ne pas trop regarder vers le haut, ce que j'appréhende d'ailleurs tout autant que de regarder vers le bas.
Un livre est pourtant en train de me faire changer d'avis, Valais mystique, de Slobodan Despot, paru aux éditions Xenia ici qu'il dirige. Car Slobodan Despot est éditeur, photographe et écrivain. Ce livre, qu'il est agréable physiquement de tenir entre ses mains, est le résultat de l'exercice par le même homme inspiré, de ces trois merveilleux métiers. Il est agréable de tenir ce livre entre les mains parce que les pages sont imprimées sur du papier glacé, parce que la police des caractères, subtilement choisie, en facilite la lecture et parce que les photographies, qui l'illustrent, sont un véritable plaisir pour les yeux.
Pour Le Nouvelliste, qui est "le" quotidien du Valais, Slobodan Despot a suivi 24 itinéraires spirituels, tous aussi inconnus les uns que les autres de votre serviteur, mais qui ne manquent pas de lui évoquer d'autres itinéraires, effectués en d'autres lieux...
L'auteur est "arrivé en Suisse avec [sa] famille à l'âge de six ans, en 1973" :
"J'ai passé mon enfance entre Leysin, Sion et Monthey avant d'entrée au collège de Saint Maurice. Ces années constituent l'essentiel de ma formation".
Cette phrase, qui figure dans l'avant-propos, me rappelle évidemment celle de Roland Barthes, dont j'ai fait le titre du premier article de ce blog de l'an 2010 ici :
"Au fond, il n'est de pays que de l'enfance"
C'est pourquoi les années de l'enfance sont si importantes...
Tous les lieux visités par Slobodan Despot ne remontent pas à son enfance, mais ils se trouvent tous - sauf le premier, qui en est l'antichambre - dans un pays où son corps d'enfant a appris à se mouvoir et à se souvenir. Aussi, quand il gravit les pentes qui mènent jusqu'à un lieu inspiré, ses jambes le portent-elles en terrain connu et sacré. Tous les pèlerins savent que la marche est une prière qui se passe de mots - la bouche se ferme, l'âme s'ouvre - et que l'effort physique a la vertu paradoxale de débarrasser le corps de ses fardeaux. Toute récompense est au bout d'une peine et la peine, alors, n'importe plus.
Dans ces conditons et dans ces lieux propices à la méditation, le pèlerin Despot peut faire des rapprochements qui ne lui seraient pas venus à l'esprit autrement; il peut se pénétrer d'une poésie nourrie de ces rapprochements, mais aussi de rencontres et d'images; il peut traduire en mots ces images qui ont imprégné sa rétine; il peut raconter ce qu'il ressent aussi bien que ce qu'il a vu; il peut apprécier une nature qui semble éternelle, immuable, ou qui y est tout juste apprivoisée, habilement, par la main de l'homme, pour servir d'ornement à ce qu'il a édifié, comme l'écrin fait ressortir toute la grâce d'un bijou admirablement dessiné et monté, et que la patine du temps embellit encore.
Que trouve-t-on en chemin ? Des chemins de croix justement, des croix toutes simples juchées sur des éminences, des pierres creusées, des niches qui abritent des statues, des statues sans abri, mais qui se dressent vers le ciel, des marches qui permettent de monter, toujours monter, des murs, des chapelles, des temples, des tours, des monastères, et, à l'intérieur, des fresques et des icônes, d'autres statues, qui sont autant de repères que les différents âges nous ont légués pour jalonner nos routes, pour célébrer notre venue et nous inviter à la transcendance, qui ne connaît d'autre obstacle que notre refus de retrouver nos coeurs d'enfants et notre simplicité, d'autre obstacle que cet esprit moderne qui met de côté les témoignages de piété et transforme "la religion occidentale en moralisme froid".
"Ainsi les premiers seront les derniers, les derniers seront les premiers" [Mathieu, 20, 16]
A double titre, j'ai le sentiment que cette parole du Christ m'est adressée. En effet j'ai eu la bonne idée involontaire de ne pas me précipiter pour acquérir Valais mystique. Et j'ai été récompensé. La deuxième édition que j'ai entre les mains comportent deux préfaces, celles de Jean Raspail, qu'il n'est pas nécessaire de présenter, et celle de Jean-François Fournier, qui est le rédacteur en chef du Nouvelliste.
En guise de préface Jean Raspail dit dans une lettre adressée à l'auteur le 30 XI 2009 et le paraphrasant :
"S'attarder à une telle lecture, la bouche close et l'âme ouverte, équivaut à une longue prière."
J'en reste bouche bée et l'âme fermée, tout déconfit de n'avoir pas paraphrasé ainsi le premier, ce qui doit équivaloir à une prière trop courte ... En attendant, comme on parle de communion de désir, j'en suis maintenant au stade de la randonnée de désir que cette lecture m'a suscitée.
Francis Richard
PS
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