Il y a encore quelques mois Amazon régnait en maître sur le marché du livre électronique. Fort de son éco-système Kindle + Kindle Store, Amazon avait su profiter des qualités de son reader pour conquérir un large public et démocratiser dans une certaine mesure la lecture numérique aux Etats Unis. Sony, Barnes&Noble, Bookeen, iRex étaient alors ses principaux rivaux, sans pour autant que l’un ou l’autre ne soient en mesure de menacer le quasi-monopole d’Amazon.
Mais ces derniers mois ont vu l’émergence de deux concurrents d’un tout autre calibre. Apple et Google, deux géants qui pèsent ensemble 275 milliards de dollars, ont décidé de venir contester la suprématie d’Amazon dans la vente de livres électroniques. Google se prépare ainsi à lancer cet été Google Editions puis une tablette Internet à la rentrée. De son côté Apple vient de sortir l’iPad aux Etats-Unis et s’apprête à la commercialiser dans les autres régions du monde.
Or on a pu constater que la simple présence de ces deux mastodontes a déjà eu un impact considérable sur la stratégie d’Amazon. La firme de Jeff Bezos a été contrainte de revoir ses accords avec les éditeurs sous la pression d’Apple et de son modèle d’agence, si bien qu’aujourd’hui ce qui faisait la force d’Amazon est en train de s’écrouler. L’attractivité d’Amazon résidait certes dans la qualité du Kindle, mais surtout dans l’offre de livres électroniques et son positionnement tarifaire. Quant à Google, les récentes polémiques avec les éditeurs ne facilitent pas toujours le travail de négociation qu’a entrepris Amazon pour une plus grande offre numérique, particulièrement en Europe.
L’arrivée d’Apple et de l’iBookStore a profondément changé la donne car Amazon n’est désormais plus en mesure d’imposer ses conditions aux éditeurs et de vendre ses livres électroniques à 9,99$.
Pour autant Amazon doit-il réellement s’inquiéter de cette nouvelle concurrence ? Constitue-t-elle une véritable menace pour l’avenir d’Amazon ?
Force est de reconnaître que les parts de marché d’Amazon devraient s’effriter dans les mois à venir. Pour autant le géant américain de la vente en ligne a de nombreux arguments à faire valoir. Tour d’horizon.
iPad vs. Kindle
Amazon doit-il se soucier de l’arrivée de l’iPad et des tablettes Internet ? Pas réellement. Le Kindle et l’iPad partagent une caractéristique commune : tout deux sont capables de lire des livres électroniques. Cependant nous avons d’un côté un appareil dédié, exclusivement pensé pour la lecture numérique, et de l’autre un appareil polyvalent, qui fait office, entre autres fonctions, de lecteur de livre électroniques.
En conséquent ces deux types d’appareils ne sont pas prévus pour les mêmes utilisations et ne touchent pas les mêmes publics. Le Kindle conserve ainsi aux yeux des personnes à la recherche d’un appareil de lecture des avantages incomparables vis à vis de l’iPad. Il offre un confort de lecture bien supérieur, une fatigue visuelle moindre, une autonomie sans commune mesure avec l’iPad. Des arguments décisifs pour qui souhaite principalement lire de la littérature sur écran.
Par ailleurs, on imagine qu’Amazon travaille en ce moment sur la prochaine génération de Kindle. Avec la mise à disposition de son propre SDK, et l’arrivée d’un nouveau reader équipé d’un écran Mirasol ou Liquavista, Amazon pourrait corriger un certain nombre de défauts reprochés au Kindle (couleur/interactivité) tout en conservant les éléments qui font sa force.
Le Kindle n’est donc pas directement menacé par l’iPad, car il s’agit, somme toute, de deux produits très différents. Les gros lecteurs désireux de lire des ouvrages de littérature se dirigeront vers le Kindle tandis que ceux souhaitant avant tout consulter la presse et Internet se tourneront vers l’iPad et les tablettes à venir. Ces appareils sont davantage complémentaires que véritablement concurrentiels.
Une stratégie d’ouverture contrôlée
Il est possible de considérer le maintien du format propriétaire AZW comme un véritable frein pour la boutique de livres électroniques d’Amazon, notamment lorsqu’on sait que la plupart des readers sont compatibles ePub, ou depuis qu’Apple a laissé entendre qu’iTunes et l’iPad supporteraient uniquement le format ePub.
On observe cependant que cette stratégie est défendable. Elle permet à Amazon de conditionner l’accès à la plus grande librairie de livres électroniques à l’achat du Kindle, et de conserver grâce à cette offre intégrée sa position dominante vis à vis de la concurrence directe (Barnes1Noble, Sony, Bookeen etc.).
Par ailleurs, avec le développement d’applications pour BlackBerry, iPhone, iPad, Mac et PC, Amazon garantit une grande compatibilité. Achetez votre livre depuis votre PC, retrouvez le sur votre Kindle, et poursuivez votre lecture depuis votre smartphone. Finalement entre un fichier ePub DRMisé, lisible et transférable uniquement depuis Adobe Digital Editions et un fichier AZW utilisable sur plusieurs plateformes, on en vient à préférer le modèle d’Amazon, certes propriétaire mais plus souple.
Cette stratégie d’ouverture est donc assurément un bon point pour Amazon, car elle lui permet de maintenir ses ventes de Kindle face aux constructeurs de readers, et de rendre disponible son catalogue de livres électroniques sur une grande variété d’appareils complémentaires.
Kindle Store vs. iBookStore
L’argument ne sera sans doute valable qu’un temps. Toujours est-il qu’Amazon dispose aujourd’hui du plus grand catalogue de livres électroniques en langue anglaise, avec plus de 400 000 ouvrages. Malgré les nombreux accords passés avec les maisons d’éditions, Apple devra patienter encore un peu avant de pouvoir rivaliser avec Amazon.
L’offre devrait d’ailleurs s’étoffer chez Amazon avec l’ouverture du DTP aux éditeurs et auteurs internationaux. Si Amazon parvient en plus à proposer une boutique globalisée, il pourrait prendre à revers l’iBookStore, a priori localisé, d’Apple. Un argument de taille pour les lecteurs souhaitant accéder à des livres en langue anglaise, française, espagnole, italienne ou allemande depuis un seul et même compte. Le distributeur devrait aussi entrer en contact avec les groupes d’éditions européens (et particulièrement français) afin d’ouvrir des discussions pour l’intégration de leurs catalogues sur sa plateforme. En effet, jusqu’à présent, Amazon n’a pas formulé d’offre auprès des grands éditeurs, préférant les laisser utiliser la DTP, s’affranchissant ainsi de négociations de gré à gré.
La firme de Jeff Bezos peut également compter sur des contrats d’exclusivité avec certains auteurs ou maisons d’éditions, et sur une homogénéité des prix des livres électroniques avec la concurrence.
Enfin la disponibilité du Kindle Store sur l’iPad/iPhone permet à Amazon d’exercer pleinement son activité de distributeur/libraire numérique sans pour autant être tributaire des ventes de Kindle.
Le prix de l’appareil
499$ pour le modèle entrée de gamme de l’iPad, contre 259$ pour le Kindle. Amazon a pour lui l’attractivité au niveau tarifaire et devrait être en mesure de conforter cet avantage. Par rapport au volume des ventes et l’évolution du marché des readers, Amazon devrait proposer un produit de moins en moins cher, suffisamment intéressant pour décider de nouveaux clients à tenter l’expérience de la lecture numérique. Amazon dispose déjà de sérieux atouts avec le Kindle 2 qui a été qualifié à de nombreuses reprises de meilleur reader du marché (et sur plusieurs points, à juste titre).
Avec un Kindle aux alentours de 150/200$, on se rapprocherait petit à petit d’un bien de consommation “relativement grand public” à même de favoriser l’achat compulsif. Un lecteur de livres électroniques à 499$, même multifonctions, donne à réfléchir, et les personnes souhaitant principalement lire sur leur appareil seront plus enclines à se tourner vers un produit dédié beaucoup plus abordable.
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