Copier n'est pas voler

Publié le 07 avril 2010 par Copeau @Contrepoints
Le progrès humain est fondé sur la copie, sur l'émulation d'idées matérialisées par d'autres personnes dans le passé, sur l'amélioration compétitive de créations d'autrui, sur la combinaison de diverses idées avec un propre apport original minime.

Tous, avant de pouvoir visionner le DVD que nous venions de louer à la vidéothèque du coin, nous avons dû subir ce message des autorités nous martelant le message selon lequel copier un film serait un vol aussi laid qu'arracher son sac à main à une petite vieille. Cette défense simpliste, frisant la débilité, de la propriété intellectuelle se fonde sur une fausse intuition et passe outre une distinction pourtant basique et essentielle dans ce débat : les bien tangibles sont d'usage exclusif (si quelqu'un m'enlève mon téléphone portale, je ne peux plus téléphoner), alors que les biens intangibles comme la musique, les inventions ou les idées en général ne le sont pas (une copie d'un CD n'empêche pas l'écoute de celui-ci).

Fondamentalement, la fonction du droit de propriété est d'éviter les conflits qui pourraient surgir à l'occasion de l'usage d'un bien ou d'une ressource. Selon le principe libéral d'appropriation, le droit de décider de l'usage du bien revient exclusivement à celui qui possède la réclamation la plus juste sur celui-ci, c'est-à-dire celui qui lui a donné de l'utilité en premier ou qui l'a reçu légitimement d'un tiers.

Dans ce cadre, la propriété intellectuelle n'a aucune cohérence. Remontons loin dans le temps et observons cet homme de l'Antiquité occuper une parcelle de terre et commencer à la cultiver péniblement en fonction du régime des pluies local, devenant, de fait, propriétaire de ce terrain. Observons maintenant, de l'autre côté du pays, où jamais notre paysan n'a mis les pieds, quelqu'un qui vient de mettre au point un système d'irrigation. La logique implicite de la propriété intellectuelle donnerait le droit à ce dernier d'empêcher notre paysan d'utiliser la technique d'irrigation mise au point ou alors de réclamer des royalties à chaque usage. Mais on comprend immédiatement que, ce faisant, le développeur du système d'irrigation viole le droit de propriété du paysan en lui interdisant de faire ce qu'il veut sur la parcelle de terre qu'il a occupé en premier. En vertu de quoi ce paysan ne pourrait copier et employer cette technique d'irrigation sur sa parcelle ?

Selon le contexte, copier peut être peu élégant ou même déshonorant. Il est gênant que l'on profite de nous et il est logique de chercher à éviter cela. Mais il existe de nombreuses manières légales de profiter des gens, depuis l'adultère jusqu'à la fausse promesse en passant par le chantage émotionnel ou le de despotisme envers un subordonné. Les lois sont là pour punir les crimes, pas pour imposer des bonnes manières et nous protéger de notre naïveté innocente.

En fin de compte, pourquoi crier haro sur le baudet au sujet de la copie ? Celle-ci fait pourtant bien partie de la vie ; nous copions les comportements et prenons continûment les idées des autres, sans éprouver de remords ni concevoir l'idée biscornue que des gens se sentiraient ainsi abusés. Le progrès humain est fondé sur la copie, sur l'émulation d'idées matérialisées par d'autres personnes dans le passé, sur l'amélioration compétitive de créations d'autrui, sur la combinaison de diverses idées avec un propre apport original minime.

On peut comprendre l'irritation d'un artiste qui voit sa musique téléchargée sur Internet ou copiée plusieurs fois successives. Mais si aujourd'hui nous devions payer des royalties aux héritiers de l'inventeur du supermarché, de l'ampoule ou du téléphone, cet artiste les défendrait-il ou les critiquerait-il pour le fait de jouir de privilèges légaux aux dépens d'autres concurrents et du reste de la société ? Cet artiste penserait-il également que la législation devrait être modifiée afin de « protéger » contre la copie un modèle de robe, une nouvelle structure architecturale, une nouvelle formule mathématique ou un nouveau pas de danse ?

Tout au long des deux derniers siècles, aux États-Unis, la tendance a été de prolonger les limites temporelles du copyright avec l'intention évidente de prolonger artificiellement des monopoles légaux très rentables pour certaines entreprises (de 14 ans, on est passé à toute la vie de l'auteur plus 70 ans). La législation sur les brevets est si éloignée de son but officiel que sont apparue des compagnies « trolls » qui se consacrent uniquement à breveter des « inventions » et à toucher des royalties sans jamais rien produire ou, pour le dire d'une autre manière, à extorquer les entreprises qui, elles, produisent sur base de ces idées.

Il n'existe pas de « droit à la culture » et, partant, il est parfaitement légitime que les artistes emploient divers modes d'exclusion qui rendent plus difficile la copie – comme, en son temps, la Chapelle Sixtine conservait jalousement secrète la partition du Miserere d'Allegri, jusqu'à ce que Mozart reproduise cette œuvre de mémoire. Mais ils n'ont pas le droit de faire appel à l'État pour protéger leurs intérêts aux dépens de la liberté des consommateurs et taxant la vente de CD ou en poursuivant comme des criminels les usagers qui déchargent de la musique mise à disposition par d'autres sur Internet. Sans parler du fait que si nous devions payer pour tout ce que nous « copions » de manière routinière, nous serions ruinés à la fin de la journée.